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Cinéma
La Critique de Jean-Louis Requena
La Critique de Jean-Louis Requena
© Alberto PIZZOLI / AFP

| Jean-Louis Requena 650 mots

La Critique de Jean-Louis Requena

The Square - Film Suédo-danois de Ruben Östlund – 145’

The Square, Palme d’Or au dernier Festival de Cannes présidé par Pedro Almodovar est le prototype même du film qui divise la critique. Pour le titre suprême du plus grand festival de cinéma du monde, « les professionnels de la profession » attendaient 120 battements par minute de Robin Campillo, film militant, politiquement correct, sur le groupe Act Up et les ravages du sida dans le milieu homosexuel. The Square sortit vainqueur alors qu’il n’était accepté que comme challenger. Le castillan Pedro Almodovar donna les raisons de son choix et de celui du jury, lui l’homosexuel assumé. C’est une position courageuse que nous saluons car le quatrième long métrage du suédois Ruben Östlund, suite à son excellent film Snow Therapy (Grand Prix section Un Certain Regard – 2014), nous interpelle, nous pousse hors de notre zone de confort.

Christian (Claes Bang) est conservateur du musée d’art contemporain dans le palais royal de Stockholm. Il préside à l’installation d’une exposition intitulée « The Square », un carré lumineux inscrit sur le parvis du musée qui, en principe, devrait inciter les visiteurs à la tolérance, à la solidarité, vertus cardinales en Suède. Un carré magique aux vertus altruistes du « modèle suédois » dont on nous a tant rabâché les bienfaits depuis des décennies, à nous, pays latins du sud (France, Italie, Espagne, etc.) grossiers et individualistes incorrigibles.

Pour Christian, cette belle ordonnance se dérègle lors du vol, non loin de son bureau, de son portefeuille et de son portable. Dès lors, il mène une enquête pour les retrouver, aidé par Julian (Dominic West), un subordonné de couleur. Durant cette recherche, il est perturbé par une journaliste américaine Anne (Elisabeth Moss, formidable), par un duo de publicistes qui, pour faire du « buzz », vont déclencher une catastrophe, et par un petit garçon hargneux d’origine étrangère (les Balkans ?) qui demande réparation : ce n’est pas lui qui a dérobé le portefeuille et le portable du conservateur. A ses tourments, s’ajoutent les problèmes posés par son ex-épouse et ses deux jeunes enfants !

Ruben Östlund structure son œuvre (cent quarante-cinq minutes !) en longues séquences, bien au-delà de ce qui est, en principe, toléré dans le discours cinématographique. De fait, il nous force à passer par plusieurs stades émotifs qui peuvent aller du sourire à la gêne ou l’inverse. Certaines scènes s’étirent dans des durées rarement atteintes dans le cinéma de fiction. Ainsi, la performance de l’homme-singe Oleg (Terry Notary, spécialiste du comportement simiesque dans de nombreux films), bondissant dans un repas de gala, s’étire sur douze minutes et nous fait passer du sentiment d’étonnement à celui de malaise. Le réalisateur use de ce procédé en très longs plans-séquence avec intelligence, et de ce fait, fouaille dans nos émotions en les manipulant avec adresse. Ce n’est pas si courant !

Le film tourné en numérique (chef opérateur Fredrik Wenzel) est également intéressant par sa photographie peu contrastée, comme lisse, mais astucieusement cadrée en contradiction avec la bande son : cris, bruits aigus, bruits sourds, ou incongrus (interjections humaines, animales, bruits violents de chute, etc.) mais hors cadre, ce qui ajoute de l’étrangeté aux scènes et aux propos des protagonistes. La musique vocale, bien que discrète, souligne d’une façon ironique l’articulation entre les scènes.

D’aucun ont écrit que ce film est « une satire de l’Art Contemporain » et en définitive « réactionnaire ». Ce long métrage est certes dérangeant par moment car il décrit le subtil dérèglement d’une société permissive, tolérante, altruiste en terme de principe mais rigide dans sa réalité sociologique : en définitive chacun doit rester à sa place !

Ce n’est pas un mince exploit, avec les outils qu’offre le cinéma, d’analyser la société en apparence apaisée, tolérante, ici suédoise, avec un humour grinçant quoique cinglant.

Ruben Östlund a réussi, pour nous, son pari visuel et auditif qui peut déranger mais qui est salutaire au regard de nos sociétés raisonneuses et au demeurant conformistes.

Jean-Louis Requena

 

 

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