Nous avons la chance à Biarritz de compter une belle troupe (en demi-pointes) grâce au Ballet Malandain, Thierry Malandain restant toujours fidèle principe - qui lui est cher - d’« une danse qui danse » ! Comme Jean-Christophe Maillot et ses néo-classiques Ballets de Monte-Carlo qui s’agrippent au rocher monégasque, notre chorégraphe national et sa troupe en « demi-pointes » tient bon contre vents et marées sur ses falaises biarrotes !
Mais une forte bourrasque souffle à présent sur la danse à Bordeaux !
Déjà sérieusement compromis depuis des lustres par la politique du Ministère de la Culture et le nombre réduit de compagnies capables de présenter de la danse classique en France, l’accès du public à l’art du ballet classique se réduira encore à la suite de la récente suspension par l’administration du Grand Théâtre de Bordeaux de Charles Jude, directeur du Ballet de l’Opéra de Bordeaux depuis 1996 et dernier élève de Rudolph Noureev qui l’avait nommé « étoile ».
En effet, la présidente du conseil d’administration de l’Opéra et élue bordelaise Laurence Dessertine a décidé vendredi dernier de suspendre le directeur de la danse, en conflit depuis des mois avec la direction, en particulier Marc Minkowski et Olivier Lombardie, administrateur général de l’Opéra. En attendant la règlement de cette situation, Eric Quilleré, maître de ballet, assure la direction artistique du Ballet.
Voici la lettre ouverte à Mme le ministre de la Culture reçue sur notre site :
Madame la Ministre,
Certainement bien avant l’heure où vous lirez ces lignes (si vous m’en accordez l’honneur, ce qui, entre nous et sans préjuger de votre bonne volonté, n’est pas garanti), leurs premiers lecteurs se seront demandé ce qu’il me prend de leur sortir un article soudainement, après des semaines de silence-radio. C’est que, chères lectrices, chers lecteurs, Madame la Ministre, parfois un besoin d’écrire jaillit soudainement et triomphe de mes devoirs d’étudiant. Une certaine envie de crier au monde son opinion, ce genre de moment où je me félicite d’avoir ce blog pour le faire et les réseaux sociaux pour vous interpeller.
Madame la Ministre, la danse classique en France va mal. Vous parlez d’un scoop, j’ai envie de dire. La lettre de cachet reçue hier par Charles Jude de la part de l’Opéra de Bordeaux (parce que, ne nous mentons pas hein, c’est comme ça qu’on appelle une « suspension »), et plus globalement la situation de cette compagnie est peut être l’élément déclencheur de cette lettre, mais il n’est pas suffisant. Après tout, quand bien même plusieurs danseurs vont peut-être devoir quitter leur compagnie (et la France ?) pour exercer leur métier, quand bien même une partie du répertoire de ce Ballet va devenir indansable faute d’effectifs, quand bien même on annonce dans un communiqué froid et compassé que l’on congédie un directeur en place depuis plus de 20 ans et nommé Etoile par Rudolph Noureev (vous savez, ce mec qui dansait pas trop mal paraît-il), je ne sais rien d’autre de la situation du Ballet de Bordeaux que ce que l’on peut deviner dans des articles de presse où direction et artistes jouent chacun leurs partitions. Le manque de clarté de la situation est, en réalité, d’autant plus inquiétant. Suffisamment pour être la petite goutte d’eau qui me pousse derrière mon clavier, à lancer Roméo et Juliette de Prokofiev comme à chaque fois que j’ai besoin de me concentrer sur des sujets sérieux, et à écrire ces lignes.
Car finalement, ne nous mentons pas. La situation de la danse classique en France est inquiétante depuis des lustres. Il y a déjà près de 10 ans, j’entendais un de mes professeurs se plaindre de la difficulté de trouver des supports et des théâtres pour un spectacle estampillé « danse classique ». Il a été inutile d’attendre l’actuelle situation du Ballet de Bordeaux pour constater que les compagnies en capacité de présenter de la danse classique en France se comptent sur les doigts d’une main, au sens propre : l’Opéra de Paris bien sûr, ceux de Toulouse et Bordeaux, et les Ballets du Rhin. Voici les seules compagnies en capacité de présenter de la danse classique à leurs spectateurs. Les autres centres chorégraphiques nationaux, dont il est hors de question ici de nier la qualité de travail et de proposition, se concentrent sur la danse contemporaine ou néo-classique (on pense, pour ce dernier style, aux directions de Thierry Malandain ou Angelin Prejlocaj). Au total donc, quatre compagnies capables de danser des ballets classiques dans la tradition du répertoire, comme des fresques néo-classiques, des grands ballets contemporains et des créations. Bientôt plus que trois ?
Aussi jamais l’accès du public à l’art chorégraphique classique n’a été si compromis. En 16 ans de vie dans une ville moyenne de province, je n’ai vu en tout et pour tout que deux ballets classiques donnés par des danseurs professionnels : le spectacle de Manuel Legris et ses Etoiles, issus de l’Opéra de Paris, et un Lac des Cygnes dansé par une compagnie russe. Voir du ballet classique à la télévision est réservé aux passionnés ou aux insomniaques : la plupart des ballets sont diffusés sur des chaînes privées, tandis que le service public, dans sa grande bonté et son souci de promotion de la culture auprès des assujettis à la redevance, diffuse de temps en temps un Casse-Noisette ou les Adieux d’une grande Etoile nationale…à minuit passé !
Les causes de cette situation sont nombreuses…Le ballet classique paie une image qu’il ne mérite pas : celle d’un art compassé, dépassé, vieillissant mal et sans intérêt. Celle d’un art réservé à des privilégiés (et pour cause, vu le prix des places et la localisation des compagnies sus-mentionnées dans les grands centres urbains !). Celle d’un art de souffrance aussi, soigneusement entretenue par les reportages mi-fascinés, mi-dégouttés sur l’Ecole de Danse de l’Opéra (ciel, cachez ce travail que je ne saurais voir !). Autant de clichés contre lesquels chaque amoureux de la danse classique peut certifier se battre à chaque fois que leur sujet de prédilection arrive dans une conversation.
A la place de cette « vieillerie », l’accent a été majoritairement mis sur la danse contemporaine, universellement perçue comme moderne, créatrice, actuelle, bref, digne d’intérêt. Un intérêt réel, mais qui ne saurait être exclusif. Pas quand cette politique conduit à un moindre accès du public à une offre culturelle qui échoue à éveiller autant d’intérêt que la reprise d’un Lac des Cygnes. Pas quand elle contraint des danseurs formés à l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris ou dans les Conservatoires Nationaux Supérieurs à quitter la France pour vivre (parfois mal) ou à enchaîner des contrats d’intermittence pénibles, quelque fois inadaptés à leurs capacités réelles, faute de place dans les compagnies nationales. Pas quand elle conduit à faire du Ballet l’enfant pauvre d’un Opéra, utilisé à titre de tiroir-caisse pour financer des productions lyriques délirantes par des productions chorégraphiques amorties et au succès assuré.
Cet état absurde de la politique de la Danse se déroule pourtant en France. La France, berceau de la danse classique. Pays natal de Marius Petipa, Maurice Béjart ou Roland Petit. Un pays où, aux confins de la Vendée et du Choletais comme dans n’importe quel arrondissement parisien, à Marseille ou au fin fond de la Haute-Marne, on trouve des studios de danse et des Conservatoires qui ne désemplissent pas, tenus par des professeurs le plus souvent compétents, à haut niveau de formation, et passionnés. Autant de spectatrices et de spectateurs en puissance pour rêver, réfléchir, grandir, s’interroger, sur l’Amour, la Mort, le Désir, la Trahison, la Vie, avec Giselle, Le Lac, La Sylphide, Casse-Noisette, La Dame aux Camélias, Le Jeune Homme et la Mort, La Source, Roméo et Juliette, et j’en passe. Au-delà de ces danseurs amateurs, j’aurais mille témoignages à propos de jeunes gens (moyenne d’âge 22 ans) qui rêvent au sens propre de voir de la danse classique (pas du néo hein, du classique du pur du dur), n’en n’ont jamais vu de leur vie, et savent à peine comment le réaliser !
La France toujours, où Rudolph Noureev et Serge Lifar ont posés leurs valises. La France, dont un énième danseur a, il y a quelque mois, été couronné du prestigieux prix de Varna, où de nouvelles Etoiles brillent depuis peu. La France, Nation de la Danse, qui recevra chez elle de jeunes danseurs du monde entier pour le 40e anniversaire du spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra. La France, légataire d’un héritage inestimable, d’un répertoire merveilleux et d’une Ecole, d’un Style si vous préférez, mondialement salué.
La France, pourtant, où la danse classique devient moribonde dans l’inconscience (oserais-je dire dans l’indifférence ?) générale, tout en continuant parfois à jouir, je vous l’accorde, d’une certaine image « glamour ». Justement une excellente base sur laquelle capitaliser !
Tout ceci n’est que l’impression (je le pense, partagée par d’autres) d’un amateur passionné qui s’interroge. Je vous en prie, détrompez-moi !
Voilà, Madame la Ministre, c’était ce que j’avais à écrire. A l’espérance sincère que ces mots anxieux sur l’avenir d’un Art soient de vous lus se joint, Madame la Ministre, l’expression de ma haute considération,
Il danse et il en parle
https://ildanseetilenparle.wordpress.com/2017/02/11/france-quas-tu-fait-de-ta-danse-lettre-ouverte-a-madame-la-ministre-de-la-culture/
COMMENTAIRES des internautes :
Très bien écrit et vous détaillez très clairement le problème de la danse classique en France.
Vivant et travaillant en Allemagne, ici chaque théâtre, même de toute petite ville, a sa compagnie de danse (avec TOUJOURS son contingent de danseurs français!).
N’oubliez cependant pas le Ballet de Nice, qui produit des pièces classiques (Coppelia, Don Quichotte, Raymonda et bien d’autres), néo-classiques et contemporaines!
J’espère que vous serez entendu