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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « De Gaulle » de Gabriel Le Bomin

| Jean-Louis Requena 1273 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« De Gaulle » - Film français de Gabriel Le Bomin – 109’
Un couple se réveille au matin et s’étreint tendrement. Nous sommes en France, début mai 1940, dans le petit village de Colombey-les-Deux Églises en Haute-Marne. C’est la « drôle de guerre ». L’homme est le colonel Charles De Gaulle (Lambert Wilson), 49 ans, en permission. Sa femme est Yvonne De Gaulle (Isabelle Carré). Ils sont mariés depuis vingt ans et ont trois enfants : Philippe, 19 ans (Félix Back), Élisabeth, 17ans (Lucie Rouxel) et Anne, 12 ans, la petite dernière trisomique. Dans la matinée, Ils partent, de concert, à la petite église du village pour la messe du dimanche.
Leur demeure familiale « La Boisserie », sise au milieu d’arbres, bruisse sous les cris des invités et des enfants. Le repas dominical est joyeux. Bientôt, le colonel De Gaulle revêt son uniforme et part rejoindre à Metz son régiment de chars de combat (RCC) dont il est le commandant. Le 10 mai 1940, l’armée allemande, la Wehrmacht, attaque massivement avec ses divisions de blindés dans un grand coup de faux d’est en ouest vers l’atlantique : les forces principales françaises et le corps expéditionnaire anglais sont coupés de leurs bases. De Gaulle, ayant pris entre temps le commandement d’une division cuirassée (4ème DCR), contre-attaque une fraction du flanc gauche de l’armée allemande : c’est un bref succès. Sa division reconstituée à la hâte manque d’hommes qualifiés et de matériels. C’est trop tard! 
Déjà la chaîne de commandement rompue, craque : plusieurs officiers supérieurs intègrent la défaite, multiplient les erreurs de commandement. C’est la débâcle.
A Paris, le gouvernement de la République dirigé par le Président du Conseil Paul Reynaud (Olivier Gourmet) gère tant bien que mal un cabinet ou les « faucons », qui veulent continuer le combat coûte que coûte, côtoient les « colombes » qui souhaitent négocier une paix séparée avec le Troisième Reich. Tout va très vite dans la précipitation. Deux décisions funestes de Paul Reynaud vont renforcer le camp des « défaitistes » : il nomme le général Maxime Weygand (72 ans) commandant en chef des armées et le Maréchal Philippe Pétain (84 ans), membre de son gouvernement. De Gaulle, en relation depuis longtemps avec Paul Reynaud, arrive à Paris le 1er juin et est immédiatement nommé général de brigade à titre temporaire, puis, le 5 juin, sous-secrétaire d’Etat à la Défense.
Dès lors, un combat acharné s’engage entre les tenants de la poursuite de la guerre : Paul Reynaud, George Mandel, De Gaulle et les partisans de l’armistice qui fait porter le poids de la défaite sur les politiques et non les militaires (capitulation) : Philippe Pétain, Maxime Weygand, Paul Baudoin. 
Dans ce microcosme vibrionnant qui se déplace en désordre, de Paris en Touraine, puis à Bordeaux, De Gaulle et les partisans de la poursuite de la guerre combattent les « défaitistes » qui gagnent du terrain, d’autant que le Président du Conseil Paul Reynaud atermoie sous la pression d’Hélène de Portes (Phippine Leroy-Beaulieu), sa maîtresse, acquise à l’armistice. 
Yvonne De Gaulle a quitté la Boisserie avec ses trois enfants et mademoiselle Potel (Catherine Mouchet), en charge de la petite Anne, gravement perturbée par les voyages incessants au milieu d’une foule de réfugiés. Le général réussit à les voir, brièvement, à Carantec en Bretagne, avant de repartir en Angleterre rencontrer pour la première fois le Premier Ministre anglais Winston Churchill (9 juin).
Mandaté par Paul Reynaud pour tenter de former une Union Franco-Britannique, le Général rencontre à nouveau Winston Churchill le 16 juin, puis rentre à Bordeaux (17 juin) où Paul Reynaud vient de démissionner, laissant son poste au Maréchal Pétain. Le clan des « défaitistes » a remporté la partie : De Gaulle et son aide de camp Geoffroy Chodron de Courcel (Pierre Hancisse) s’envolent de l’aéroport de Mérignac pour Londres.
Le 18 juin, De Gaulle, après quelques démêlés avec des représentants du Gouvernement de Sa Majesté, mais soutenu par le Premier Ministre Winston Churchill, parle aux officiers et soldats français sur Radio Londres (BBC). 
Pendant ce temps, sa femme, ses trois enfants et la dame de compagnie, toujours en Bretagne, tentent de quitter la France en bateau….
Une des rares œuvres cinématographiques de fiction sur le général De Gaulle
Le long métrage du réalisateur Gabriel Le Bomin (52 ans), venu du genre documentaire, notamment pour la télévision, narre les deux mois fatidiques (mai-juin 1940) entre la fin de la « drôle de guerre » (l’offensive de la Wehrmacht) et l’appel du 18 juin. Sur cette période courte, dramatique, le réalisateur, coscénariste, alterne les séquences intimes, familiales, avec celles historiques (champs de bataille, réunions du gouvernement, etc.). Au De Gaulle amoureux de sa femme, attentif, bienveillant avec sa famille succède, sans rupture narrative, un autre De Gaulle, le général de brigade à titre temporaire, décidé, froid, distant, arrogant avec des pointes d’humour sarcastique. L’homme privé, chaleureux, se mue en public, en bloc glacial aux analyses froides, déterminé, au mépris affiché, le cas échéant, quel que soit l’importance de son interlocuteur (civil ou militaire). C’est cette fascinante dichotomie cohabitant dans un même corps, à la morphologie improbable, parfois disgracieuse, reconnaissable entre toutes, que le montage alterné des séquences (intime/officiel) développe sur l’écran.
Il y a très peu d’œuvres cinématographiques de fiction sur le général : de toute évidence son physique particulier, sa voix reconnaissable, sa gestique en public, et le nombre de thuriféraires qui l’ont entouré, ont découragé toute approche, non documentaire, de ce fabuleux personnage qui a su avec obstination sculpter sa propre légende : devenir le premier homme à se dresser contre l’occupant… et le rester. Lire ses « Mémoires de Guerre » (1954/1959), au demeurant admirablement écrites, c’est parcourir, dans ses pages ordonnées, le « roman national » d’une période trouble, incertaine, (1940/1945), parsemée de certitudes et d’enluminures.
Le film de Gabriel Le Bomin est de facture classique, soignée (budget de 11 millions €). Nonobstant son classicisme, il n’en reste pas moins intéressant, car sur un temps historique court (deux mois), l’on parcourt par la magie du langage cinématographique une illustration de la débâcle, de l’effondrement militaire et moral de notre pays. Les acteurs sont à louer, car ils ont l’audace de reprendre des personnages, ô combien historiques, sans les singer : en tête, Lambert Wilson (De Gaulle) et Isabelle Carré (Yvonne de Gaulle). D’autres ont un physique fort éloigné de leurs modèles tout en assumant leur rôle : Olivier Gourmet (Paul Reynaud), Tim Hudson (Winston Churchill), Alain Lenglet (Maxime Weygand), etc. Mais qu’importe le film n’en demeure pas moins captivant.
De Gaulle, est une œuvre particulière dans la production cinématographique française (220 longs métrages tournés en 2019 !). A ce titre il faut saluer cette proposition courageuse, peu banale.

P.S : En ces temps de confinement (guerre au coronavirus !) nous vous recommandons deux ouvrages à lire, en raccord avec le film, parmi des centaines d’autres : 
- « L’étrange défaite » (Collection Folio Histoire – Gallimard) du grand historien médiéviste Marc Bloch (1886/1944), créateur avec Lucien Febvre de l’École des Annales, résistant, assassiné par les nazis en juin 1944. Cet ouvrage écrit à chaud (juillet /septembre 1940) est une extraordinaire réflexion sur les choses vues durant la « drôle de guerre » et l’offensive de la Wehrmacht. Le livre est d’une richesse intellectuelle étonnante, dérangeante, et d’une actualité déconcertante. Une très grande œuvre à méditer.
- « De Gaulle, une certaine idée de la France » (Seuil 2019) de Julian Jackson, historien anglais. Pavé de près de 1.000 pages (992 !). C’est une biographie de qualité « anglo-saxonne », par moment abrasive (pour les français), traduite de l’anglais par Marie-Anne de Béru, que l’auteur, universitaire, spécialiste de l’histoire de France du XXème siècle, nous a livrée récemment. C’est le résultat d’un travail énorme de recherche à partir de nombreuses sources. Le rédacteur - à l’approche décalée - éclaire le personnage historique dans toutes ses faces (claires ou sombres) en échappant, du fait de sa nationalité, de sa distance, aux passions françaises.

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marie yvonne fondeur | 27/03/2020 11:34

bravo pour toutes ces recommandations! merci

Christian Bellon | 27/03/2020 14:25

Les commentaires de Jean-Louis sont toujours carrés, parfaitement écrits et lisibles par tous. Merci

Christophe de Saint Viance | 30/03/2020 16:29

Je découvre Baskulture que j'apprécie. Bravo et merci pour la critique claire et pondérée du film sur De Gaulle avec la suggestion de lire l'Etrange Défaite de Marc Bloch. Cordialement

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