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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
© DR - « Dark Waters » de Todd Haynes

| Jean-Louis Requena 711 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Dark Waters » - Film américain de Todd Haynes – 126’

États-Unis, Virginie Occitentale. Dans la nuit, un groupe de jeunes gens se baigne dans un lac. Soudain, précédé par une alerte sonore, un petit bateau surgit de l’obscurité. Des hommes revêtus de combinaisons protectrices intiment aux baigneurs l’ordre de sortir immédiatement de l’eau. Les jeunes gens ayant obtempéré, ils s’éloignent en vaporisant un produit sur la surface du plan d’eau…
Cincinnati, capitale fédérale de l’Etat de l’Ohio. En 1999, Robert Bilott (Mark Ruffalo) est un avocat au sein du cabinet Taft, Stettinius & Hollister spécialisé dans la défense des entreprises de l’industrie chimique. Le cabinet est dirigé par Tom Terp (Tim Robbins) qui lors d’une réunion promeut Rob Billot au rang de directeur adjoint associé. Rob Bilott est un juriste consciencieux, introverti, dépourvu d’hubris. Il vit avec sa jeune femme, Sarah (Anne Hathaway) qui attend un enfant et, de ce fait, met un terme à son emploi.
Sa vie intime, professionnelle, suit son cours sans heurt, quand un fermier de Parkersburg (Virginie Occidentale), Etat d’où est natif Rob, Wilbur Tennant (Bill Camp), débarque brusquement au cabinet Taft, Stettinus &Hollister avec des caisses contenants des documents accablants, selon lui, sur la pollution dans son village : les vaches, les moutons et autres animaux meurent en masse en buvant l’eau de la rivière. Selon ce paysan, l’entreprise DuPont de Nemours qui exploite un site de produits chimiques tout près de son exploitation en est, à coup sûr, responsable. Depuis des années, il a collationné des documents attestant l’origine de ce désastre. Il se recommande de la grand-mère de Rob qui vit toujours à Parkersburg.
Rob finit par se rendre en voiture en Virginie Occidentale dans l’exploitation agricole de Wilbur où, incrédule, il constate la calamité écologique qui perdure depuis que l’entreprise DuPont de Nemours a implanté ses usines chimiques.
Progressivement, devant l’accumulation des preuves sur la nocivité des substances chimiques produites, en toute connaissance de cause, par DuPont de Nemours (polymères synthétiques « forever chemicals » - polluants chimiques immortels), par ailleurs principal client de son cabinet d’avocats, Rob s’investit dans la défense des victimes de cette pollution particulièrement dangereuse pour les humains (malformations, handicaps divers, etc.) et les animaux (vaches folles, moutons épileptiques, etc.).
Son long combat juridique est dantesque, semé d’embûches : le conglomérat industriel tente de le submerger d’informations non vérifiables ; la population de Parkersburg dépend pour une part des emplois générés par DuPont de Nemours. 
Rob soumis de toute part a de fortes pressions tient bon…

Un « ecothriller » passionnant
Le dernier long métrage de Todd Haynes (59 ans) son 9ème, est un « ecothriller » qui rompt avec ses films précédents : « Carol » (2015) sur l’attirance mutuelle de deux femmes délaissées, désemparées ; « Le Musée des merveilles » (2017) sur deux enfants, Ben et Rose, handicapés (sourds) à la recherche du bonheur. C’est l’acteur principal Mark Ruffalo, activiste écologique, fervent opposant à la culture de la dérégulation (de Ronald Reagan à Donald Trump), qui a « monté » le film, en est le coproducteur et, contre toute attente, a choisi ce metteur en scène à l’œuvre attachante, à la mise en image soignée, mais aux thématiques éloignées. C’est une histoire véridique dont le scénario est issu d’un article de Nathaniel Rich paru dans le quotidien américain « The New York Times » (2016).
Tood Haynes s’est remémorer les grands films paranoïaques des années 1970 qu’il admire : « Les Hommes du Président » (1973) sur le Watergate, « A cause d’un assassinat » (1975) sur le meurtre d’un candidat à la présidence des États Unis, tous deux de Alan J. Pakula (1928/1998). Il y a de nombreuses citations de ce maître, un peu oublié, dans l’écriture filmique de Todd Haynes : les mêmes cadres et sous cadres parfaitement ordonnés en verticalité (le Skyline de Cincinnati, les immeubles de bureaux) et en horizontalité (la campagne dévastée, les couloirs du cabinet d’avocats, les intérieurs de la villa des Bilott). A l’aide de son chef opérateur habituel, Edward Lachman, ils ont, lors du tournage en numérique réduit la palette de couleur vers le sombre (souvent grisâtre), qui ajoute une tonalité visuelle poisseuse, et par là anxiogène à ce thriller écologique.
"Dark Waters" dépasse par sa complexité, ses différents niveaux de lecture, son ambition narrative, le « film dossier militant » à charge dont nous sommes trop souvent accablés : c’est un « ecothriller » passionnant.

Légende : DR - « Dark Waters » de Todd Haynes

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