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Andde Darraïdou nous a quittés. Goian bego.
Andde Darraïdou nous a quittés. Goian bego.
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| Alexandre de La Cerda 2846 mots

Andde Darraïdou nous a quittés. Goian bego.

Le célèbre hôtelier-restaurateur, ancien maire d’Espelette et président du Biltzar des maires du Labourd André Darraidou n’est plus. Il est parti mercredi dernier à l’âge de 73 ans, à la suite d’une longue maladie. Ses obsèques auront lieu le lundi 15 avril à 10h30 en l’église d’Espelette.

Je retiendrai de mes derniers entretiens avec cet ami de longue date la « devise » qu’il m’avait confiée un jour où nous nous étions retrouvés au trinquet Doxpi à Espelette pour une partie de pelote : « le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté » !

Ce fut l’occasion de rappeler la mémoire de son père, grand champion de pelote basque et, comme son fils, hôtelier et maire de la cité du piment. Cette saga Darraïdou, Andde me l’avait évoquée, comme toujours, avec son inimitable sourire en coin…

Car le père d’Andde, Auguste Darraïdou, avait été champion dans les années vingt – c’était l’époque des Dongaïtz, Arcé, Léonis, Arrayet – avec trois joueurs différents. La première fois avec Dongaitz, le grand joueur d’Urrugne, la deuxième avec Iñazio Etcheveste et la troisième avec un tout jeune qui s’appelait Durruty. « Chose amusante », me précisera Andde, « les trois fois qu’il a gagné, c’était contre la même équipe : Léonis, un clerc de notaire qui habitait à Espelette, et le grand Amédée Arcé de Baigorri. C’était en 1923, 1927 et 1929. Mais mon père va s’arrêter de jouer relativement jeune, à 33 ans, après s’être marié, à cause de ses mains fragiles ».

Or, Auguste Darraïdou était hôtelier, une profession dans laquelle la famille excelle depuis plusieurs générations : « L’hôtel Darraïdou, que j’ai repris, venait des Jauréguy (originaires de Larrau, en Soule), la lignée de ma mère. C’était le fils d’un Jauréguy, douanier venu à Espelette depuis Larrau, qui avait construit la partie originelle de l’hôtel. Il était charpentier et son épouse fut aubergiste, je suis maintenant de la quatrième génération et c’est mon fils Auxtin Darraïdou qui a maintenant hérité de l’affaire, à la cinquième génération. A l’origine, l’hôtel s’appelait Jaureguy, du nom du constructeur. Ma mère, qui descendait des Jauréguy, avait épousé mon père Auguste Darraïdou et c’est lui qui avait attribué le nom d’Euskadi à l’hôtel. Sans être à proprement parler « nationaliste basque, il aimait la « musique » de ce nom, et en 1936, il était question du premier gouvernement d’Euskadi »

Cet hôtel connut des périodes très diverses, il avait beaucoup évolué : son premier propriétaire, le fils du douanier venu de Soule était un bâtisseur. Orphelin de ses parents à l’âge de seize ans, à la fin de sa vie, il était néanmoins propriétaire de six maisons à Espelette. C’était un charpentier costaud et dynamique qui avait construit l’auberge Jauréguy, un joli restaurant avec peu de capacité d’hébergement à l’heure où Espelette était surtout un gros marché. Pas beaucoup de changement avec deux de ses filles qui avaient pris sa suite. Et Andde de se rappeler : « C’est avec ma mère – qui était leur nièce – que deux maisons voisines seront achetées, permettant à l’établissement de s’agrandir : j’avais connu, tout petit, l’hôtel avec trois ou quatre chambres, et quand mes parents me l’ont transmis, il y en avait déjà quinze ! Actuellement, nous en avons 27 car j’ai pu, moi-même, apporter quelque agrandissement en achetant du terrain pour développer le restaurant, y ajouter une véranda, une piscine et un tennis… Et maintenant, mon fils a ses propres projets ! C’est l’évolution normale de la vie : chaque génération fournit son apport à cette affaire de famille qui marche gentiment » !

Et à propos de son restaurant, Andde Darraidou aveait toujours eu à cœur d’en faire un véritable « conservatoire » de la gastronomie locale : « Quand j’ai repris l’affaire familiale, je venais de perdre mon père, et ma mère qui avait déjà la soixantaine ne voulait plus tenir l’établissement seule : elle me l’a transmise alors que j’avais 23 ans. L’âge où on est dynamique et plein d’idées, mais je n’avais pas eu le temps « d’aller voir ailleurs », cette transmission m’ayant obligé à renoncer à un contrat que j’avais obtenu. J’ai donc éprouvé ce petit manque de ne pas avoir pu me frotter à la cuisine dans d’autres régions de France ou à l’étranger. Mais avec ma mère, nous nous sommes mis à travailler la cuisine du Pays Basque, la cuisine locale, celle qu’elle savait faire… Et deux cuisiniers bordelais – Jean-Pierre Xiradakis de la « Tupiña » et Jean-Marie Amat du « Saint-James », qui rendaient régulièrement visite à Espelette à notre ami commun, le Dr Simonnet - m’ont un peu « bousculé » en me préconisant : ce que tu donnes les jours de marché à tes paysans, c’est ça que tu dois offrir à tous tes clients. Au début, je n’étais pas entièrement convaincu, mais ils m’ont poussé dans cette voie et, depuis, c’est devenu l’image de ce restaurant avec un joli regard sur la cuisine de terroir ; je trouve que maintenant, c’est mon fils qui fait encore mieux que moi en allant fouiner les bons produits du Pays Basque, car il y a aujourd’hui de très bons producteurs dans le monde paysan, et c’est un vrai plaisir que de mettre en valeur leur excellente production ».

Quant à son engagement au service d’Espelette, en tant qu’élu, il reconnaissait qu’il était tombé, un jour, « dans la marmite » pour suivre l’exemple familial : « Mon père était déjà maire d’Espelette, et mon frère, maire-adjoint à Hasparren pendant 18 ans et conseiller général ; mon autre frère fut maire-adjoint à Espelette également pendant 18 ans ; j’ai donc été « bercé » dans cette ambiance… Mais pour moi, ce fut l’implication dans la vie associative qui m’apprit à « donner du temps aux autres » et, au terme d’une vingtaine d’années comme dirigeant d’association, je me suis engagé dans le combat municipal avec trois mandats à la clef au service d’Espelette ».

Une époque à laquelle Espelette s’est beaucoup modernisée : il fallait faire une déviation du village, projet datant de ses prédécesseurs. Une déviation, ça fait peur – surtout au monde commerçant – et « nous avons beaucoup travaillé en amont pour la préparer. Et cette déviation a finalement constitué l’événement : les gens se sont mis à venir avec plaisir, entrer dans le village et s’y promener, ce qui a entraîné une réflexion « populaire », avec la participation des habitants, sur la manière de réaménager le bourg. Le premier regard fut d’un ordre très « commerçant », mais j’y ai ajouté un combat en faveur du piment d’Espelette dont l’AOC a été obtenue l’année même de la mise en service de la déviation. Ce qui a également entraîné une relance de la vie agricole dans le village et aux alentours, ainsi qu’une notoriété qui a développé la vie commerciale du village. D’autres « combats » sont moins connus : la tannerie d’Espelette, représentant quelques 70 emplois, qui était en difficulté quand j’ai pris la mairie. Sur mon instigation, la mairie a été partie prenante des mesures de dépollution en faveur d’une entreprise qui représentait beaucoup dans le village. Nous avons aussi créé la première zone artisanale d’Espelette qui occupe maintenant près d’une centaine d’emplois, une façon de contribuer au développement harmonieux de nos villages ».

Cependant, malgré le grand afflux de visiteurs à Espelette, Andde estimait qu’il avait pu conserver l’âme du village : « C’était très important, comme il était vital que les commerces conservent leur qualité : on ne peut pas développer l’image d’un piment d’Espelette qui est un produit d’une grande qualité gastronomique qui côtoierait des produits bas de gamme. Il faut donc que tous les acteurs de la vie commerçante du village comprennent bien qu’il va de leur intérêt d’être les défenseurs des produits de qualité qu’ils vont mettre sur le marché en regard de la population importante qui passe dans le village, soit 500 000 personnes par an. C’est beaucoup mieux qu’avant la déviation, lorsque la rue voyait passer 12 000 véhicules par jour, avec des centaines de semi-remorques. On est quand même mieux maintenant »

Par la suite,  Andde Darraidou avait été élu président du Biltzar des maires du Labourd. C’était à la suite d’un problème de cumul des mandats de Daniel Poulou, également conseiller général et député qui avait donc dû libérer la présidence du Biltzar. « A l’époque, j’étais président de l’association des élus pour un département Pays Basque, un combat qui était majoritaire parmi les maires. J’ai donc été candidat pour porter cette revendication et élu président pour près de sept ans, jusqu’à ce que je quitte mon poste de maire pour des raisons de santé ».

Mais à cette époque, le rôle effectif du Biltzar n’était guère important, reconnaissait Andde car, comme simple association, il n’avait pratiquement aucun pouvoir ni aucun poids politique institutionnel… « Mais au niveau « écoute », son discours était d’autant plus considéré que préfet et sous-préfet étaient toujours « aux aguets » de ce que nous disions, ainsi que les grands élus parlementaires. C’était curieux comme un organisme paraissant « faible » juridiquement pouvait de temps en temps faire avancer certains sujets qui « trainaillaient » quand ils étaient portés par nos grands élus « classiques ». J’ai trouvé que le jeu – d’être à la tête de ce Biltzar – valait la chandelle et je crois que l’évolution actuelle de la situation au Pays Basque constitue peut-être le fruit de ce que nous avons semé pendant quelques années ».

Quant à la nouvelle communauté d’agglomération Pays Basque qui était alors en constitution, Andde en pensait « beaucoup de bien, et les anciens maires ont encouragé les élus actuels à aller dans ce sens, tout en sachant parfaitement que ce sera compliqué. Alors, messieurs les élus, mettez-vous au travail, serrez-vous les coudes, débattez ensemble, et prenez bien conscience que vous allez construire cette maison « Communauté Pays Basque » en plusieurs années. Elle ne va pas se faire en trois mois, il va falloir sûrement dix, douze ans pour commencer à articuler ce beau projet : je serais en train de bouillonner de plaisir si j’étais élu aujourd’hui. Mais les choses ne sont belles que si on les obtient par la difficulté, et j’ai envie de crier aux élus : n’ayez pas peur, mettez-vous au boulot et à force de volonté, vous allez y arriver et vous allez construire une très belle institution pour le Pays Basque qui, au moins, existera administrativement ».

Parmi les personnalités d’Espelette qu’Andde Darraidou aimait citer, figurait le cardinal Etchegaray : certes, ajoutait-il, « nous ne sommes pas de la même génération – il a près de 25 ans de plus que moi – mais nous avions déjà des relations anciennes, du fait du voisinage et des liens forts existant entre mes parents et les siens. Et, un beau jour, je me suis trouvé avec lui dans un voyage de deux semaines où nous avions été invités tous les deux en Chine », sur les traces du missionnaire ezpeletar Armand David (*), au cours duquel le courant est passé et aujourd’hui, il y a presque une certaine complicité qui s’est instaurée entre nous, même si aujourd’hui j’avoue me sentir l’humble serviteur du cardinal, en lui arrivant à peine à la cheville »

Et de me relater ce séjour en Chine : « Après un premier séjour sur les traces d’Armand David, le maire de la localité de Ya'an, village situé au sud-ouest de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, m’avait invité, ainsi que le cardinal Etchegaray, lui aussi originaire de la cité du piment, à commémorer l'activité du missionnaire ezpeletar, « découvreur » du panda géant au XIXe siècle, afin d’inaugurer un centre de protection du panda. A ce propos, je me souviens d’une anecdote : sur le vol intérieur de Pékin vers Sichuan, le cardinal transportait dans une sacoche deux petites bouteilles de vin pour dire la messe sur place. Mais le service de sécurité à l’embarquement lui avait confisqué ces bouteilles et le cardinal de s’en rapporter à ses hôtes chinois. Or, le lendemain matin, à l’église catholique de Dengchigou et au « monastère » attenant (on y voit encore l’antichambre du Père David, où il offrait le thé à ses visiteurs et d’où il pouvait observer la multitude d’oiseaux dans les buissons, ainsi qu’une salle où il triait ses collections) les autorités chinoises avaient fait venir un prêtre de la région qui célébra la messe en chinois, alors que le maire, sur la demande du cardinal, était arrivé avec une bouteille de vin… de bordeaux ! A la réception qui suivit l’office, le cardinal se fit une joie de déguster avec ses hôtes chinois la fameuse bouteille qui n’avait pas servi à la messe. Car il a toujours aimé les bonnes choses, notre cardinal, et à son retour au pays natal, l’été, je lui envoie toujours des tripotx, il les savoure au petit-déjeuner »… Ainsi, l’amitié nouée au cours de ce voyage en Chine s’était poursuivie à Espelette. Car, depuis ce voyage en Chine, Andde et le cardinal firent de belles ballades dans la région ; surtout depuis l’« accident » du prélat à Saint-Pierre de Rome, Andde lui faisait faire, tant qu’il le pouvait, une petite marche quotidienne : « Et j’avais noté une amélioration des contacts avec les locaux, l’écoute plus attentive du cardinal aux petits problèmes du pays. Il y a trois ans, j’avais conduit le cardinal à la journée des Basques de Paris organisée à Achafla Baïta à Ascain. Son intervention en faveur de la défense de la langue et de la culture basque avait été fort appréciée, c’est là où on voit que ses racines le titillent ».

Mais à présent, le cardinal ne pouvait plus s’arrêter dans sa maison d’Espelette et sa sœur se trouvant à la maison Sainte-Elisabeth de Cambo, il allait bientôt l’y rejoindre.

Et en nous quittant, Andde avait formulé un vœu : « à brûle-pourpoint, dans cette situation qui est compliquée – dans le monde entier -, et dans un Pays Basque qui a connu, lui aussi, des moments difficiles, qu’on sache être optimiste. Je lisais récemment un livre de Jean-Louis Debré une très belle citation du philosophe Alain : « le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté ». Ce serait mon souhait : cette volonté d’être optimiste pour faire avancer les choses de belle manière »

Alexandre de La Cerda

(*) Le Père David, lazariste originaire d'Espelette, avait entrepris deux aventureuses expéditions en Chine (1862-1870 et 1872-1874), au cours desquelles il collecta un grand nombre de spécimens et fit de nombreuses observations, qui accrurent grandement la connaissance de la flore et de la faune chinoises. En 1869, il séjournait au Collège de l'Annonciation, fondé par les Missions Etrangères de Paris pour la formation des prêtres chinois à Muping, dans la région de Ya'an, partie lointaine du Sichuan, entourée de hautes montagnes. C'est là qu'il identifia le panda géant, cet ours noir et blanc, qui est devenu le symbole de l'amitié entre la Chine et le reste du monde. En 1983, les autorités du district Baoxing, au Sichuan, près de la réserve des pandas géants de Fengtongzhai, ont inauguré une plaque en mémoire du Père Armand David sur le mur de l'Eglise qui jouxte l'ancien collège des Missions Etrangères de Paris, un magnifique bâtiment en bois qui avait échappé au vandalisme maoïste de la Révolution culturelle pour avoir servi d’hébergement aux métallurgistes !

 

 

 

 

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