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Histoire
Un Basque de Mauléon, dernier ambassadeur cubain à Washington
Un Basque de Mauléon, dernier ambassadeur cubain à Washington

| Arnaud Batsale 1219 mots

Un Basque de Mauléon, dernier ambassadeur cubain à Washington

Le 17 décembre 2014, le Président Barack Obama annonçait l’engagement d’un rapprochement diplomatique entre les Etats-Unis et Cuba. 

Après sept mois de négociations, le 20 juillet 2015, les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba étaient officiellement normalisées par les présidents Raul Castro et Barack Obama.

Dans les jours qui suivirent, Cuba et les Etats-Unis procédaient à la réouverture de leur ambassade, respectivement à Washington et à La Havane, fermées en mars 1961, soit 54 ans plus tôt.

Depuis lors, le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays n’a pas été remis en cause, et ce en dépit de l’élection de Donald Trump et d’un certain nombre d’incidents, notamment l’expulsion de diplomates cubains par l’Administration Américaine.

Dans un article paru le 22 décembre 2015 dans l’organe de presse cubain « Inter Press Service en Cuba » sous le titre « Ernesto Dihigo, un ambassadeur dans des temps agités », on peut lire la phrase suivante :

« Le rétablissement récent des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis a fait resurgir une série de souvenirs historiques dans la presse des deux pays, et un nom qui semblait totalement tomber dans l’oubli est apparu à nouveau : celui du docteur Ernesto Dihigo y Lopez Trigo (La Havane 1896, Miami 1991), le premier ambassadeur de l’île de Cuba aux Etats-Unis après le triomphe de la Révolution et le seul à remplir cette fonction jusqu’à la nomination l’été dernier de José R. Cabanas, soit après plus d’un demi-siècle de relations interrompues ».

Si le nom Dihigo n’évoquait plus grand-chose à Cuba, il en est a priori de même en France, à l’exception, peut-être, du Pays Basque, et plus particulièrement de Mauléon où le souvenir de la famille Dihigo a pu se conserver à travers celui de ses membres, notaires pendant près d’un siècle, de 1855 à 1942.

La famille Dihigo est originaire de Mauléon-Licharre. Ils furent, de père en fils, dès le dix-huitième siècle, huissiers à la Cour de Licharre, puis notaires dès le milieu du dix-neuvième.

Jean Pierre, grand père de l’ambassadeur, le plus jeune des trois fils de Bernard Dihigo, huissier et à plusieurs reprises conseiller municipal de Mauléon, quitta la France pour Cuba vers 1850, où il fit souche après avoir épousé une cubaine de La Havane, Rosa Mestre y Dominguez.

Par son mariage, Jean-Pierre Dihigo entra dans une famille appartenant à l’élite intellectuelle et sociale cubaine. Son beau-frère Jose Manuel Mestre fut un professeur d’université éminent et une des figures les plus reconnues de l’indépendance cubaine. Jean Pierre eut un fils, Juan Miguel.

Juan Miguel Dihigo, père de l’ambassadeur, fut lui-même professeur d’université et philologue (linguiste) éminent. En 1933, il donna à La Havane une conférence sur « La langue basque dans la science du langage ». Il y expliquait son lien affectif avec la langue basque et surtout avec le dialecte souletin, pour le plaisir que lui procura cette langue qui fut celle de ses premiers échanges avec un père pour lui inoubliable. Au cours de sa conférence, il citait des chansons basques qu’il avait apprises dans sa plus tendre enfance, de la bouche de ses parents.

En février 1940, Juan Miguel Dihigo reçut un hommage particulier de l’Université de La Havane pour ses 50 ans de professorat. Ce fut l’occasion pour le Français Jean Larrasquet de lui dédier un article intitulé « Le Docteur J.M. Dihigo et la phonétique expérimentale ». Dans cet article, l’auteur français faisait ainsi référence aux origines souletines de Juan Miguel Dihigo : « Si La Havane - et particulièrement son Université - sont fières du vénéré jubilaire à qui elles font fête en ce cinquantenaire, nous en sommes fiers aussi, dans notre partie des Pyrénées Basques, où la noble famille Dihigo, d’Ihigo ou de Ihigo sans doute généalogiquement est depuis longtemps très connue et très respectée. Nous l’avons connue dès notre plus tendre enfance ».

La faculté de Lettres de l’Université de La Havane porte encore aujourd’hui le nom de Juan Manuel Dihigo. Il eut de son mariage deux filles et un garçon, Ernesto, né en 1896. Après un doctorat de Philosophie et de Lettres obtenu à l’Université de La Havane, Ernesto Dihigo mena parallèlement une carrière de professeur d’université, notamment en Droit romain, dont il fut doyen, avec un parcours de diplomate de premier plan. Il fut notamment ambassadeur de Cuba aux Nations Unies et participa à de nombreuses conférences internationales dans le cadre de cette instance internationale. On lui doit, outre des articles dans de nombreux revues et journaux, dont Le Figaro, des ouvrages de Droit romain et de Droit commercial.

Il fut également Ministre des Affaires-Etrangères du président cubain Carlos Prio Socarras, de 1950 à 1951. Après le coup d’Etat de Batista en 1952, il se tint à l’écart de tous les postes officiels. En janvier 1959, quelques jours seulement après la prise de pouvoir de Fidel Castro, il fut nommé, Ambassadeur de Cuba aux Etas Unis. Bien qu’il fût loin de partager les idées politiques des nouveaux dirigeants cubains sa nomination s’explique par le fait que le premier cabinet ministériel était composé de membres des partis traditionnels cubains.

Pendant les deux années où il occupa le poste d’ambassadeur, il fit de son mieux pour assouplir des relations qui ne cessèrent de se tendre entre le premier ministre Fidel Castro qui se rapprochait de plus en plus de l’Union Soviétique et le Président Américain Eisenhower de plus en plus méfiant et irrité par les mesures prises par les dirigeants cubains, qu’elles soient économiques ou politiques.

Un temps fort de son mandat fut certainement la visite aux Etas-Unis de Fidel Castro à la tête d’une délégation cubaine en avril 1959. Des photos de ce voyage sont aujourd’hui accessibles sur Internet et l’on peut y voir Ernesto Dihigo accueillant avec chaleur, au pied de son avion, celui qui fut, selon certaines sources cubaines, son ancien élève à l’Université de Droit de La Havane.

Les medias officiels cubains louent aujourd’hui la prudence et la compétence qu’apporta Ernesto Dihigo dans sa mission d’ambassadeur. Toutefois en avril 1959, la presse américaine et internationale attachèrent plus d’importance à la délégation de rebelles, à l’apparence inhabituelle dans le monde diplomatique, qu’au classicisme affiché de l’ancien professeur d’université, devenu ambassadeur.

En novembre 1960, alors que les relations devenaient de plus en plus tendues entre les deux nations, Ernesto Dihigo fut rappelé à Cuba. Il ne revint plus à Washington, le président Eisenhower ayant rompu les relations diplomatiques avec Cuba le 3 janvier 1961.

Après son retour à Cuba et une courte tentative pour reprendre un poste de professeur d’université, Ernesto Dihigo décida de prendre sa retraite. Il se retira alors dans sa maison de La Havane. Il demeura à Cuba jusqu’en 1989 quand, à la faveur d’un voyage à Miami avec son épouse, ils décidèrent de rester aux Etats-Unis où résidait une grande partie de leur famille. Il mourut en 1991 à Miami sans laisser d’enfants en ayant été, jusqu’en 2015, le dernier ambassadeur cubain à Washington.

La branche cubaine de la famille Dihigo, qui ne se trouve plus aujourd’hui à Cuba, ne fait plus beaucoup parler d’elle, si ce n’est la petite-nièce de l’ambassadeur, Maria Teresa Mestre y Batista (sans aucun lien de parenté avec l’ex-président cubain, contrairement à ce qu’a pu écrire un grand hebdomadaire français), actuelle Grande Duchesse de Luxembourg (l'arrière-arrière-grand-père de Maria Teresa est le frère de la grand-mère de l'ambassadeur).

Arnaud Batsale
 

 

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