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Histoire
Ravel, le monde… et le Pays Basque (II)
Ravel, le monde… et le Pays Basque (II)
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| Alexandre de La Cerda 1048 mots

Ravel, le monde… et le Pays Basque (II)

Le jeudi 28 décembre dernier correspondait au 80e anniversaire de la mort de Maurice Ravel et sa tombe au cimetière de Levallois-Perret a été fleurie par des mélomanes. Et cette année 2017 marque également le centenaire de l’achèvement de son « Tombeau de Couperin », pour l’essentiel composé dès 1914. A cette occasion, de nombreux concerts consacrés à ses œuvres sont donnés à travers le monde. Ainsi, en ce mois de janvier, Vienne, Berlin, Zürich, New-York, Mons, Hambourg ou Francfort, ainsi que Paris, Lille, Dijon et Foix accueilleront des concerts où sera jouée la musique du compositeur ziburutar.

Pour notre part,  nous continuons notre revue – entamée la semaine dernière - des liens qui unissaient Ravel au Pays Basque où il était né en 1875 et où il revenait chaque année pour souvent y rencontrer les musiciens et compositeurs des provinces basques du Sud ; en particulier le Père Donostia qui fut un remarquable musicologue et sauva de l’oubli plus d’une chanson et d’un air basque. L’occasion d’évoquer maintenant cette amitié de Ravel et du Père Donostia qui avait débuté ainsi : le Père Donostia, encore jeune - il avait la trentaine - était déjà connu pour ses compositions. En particulier ses "Préludes Basques" écrits à 24 ans - ainsi que ses recherches très poussées et ses conférences sur la chanson basque. Mais, pour se perfectionner, le musicien franciscain envisageait de prendre des cours de contrepoint et de composition. Afin de percer les secrets de la mélodie, de l'harmonie, des rythmes et l'instrumentation, il songea à Eugène Cools (1877/1936), compositeur et professeur bien connu à Paris où il assurait en outre la représentation de la maison d’édition musicale Max Eschig. Et pour obtenir une recommandation auprès d'Eugène Cools, il fit appel à Ravel. Ils s'étaient rencontrés lors d'un séjour du grand compositeur à Ciboure, et depuis lors, se rendaient assez fréquemment visite. Voici la lettre que Maurice Ravel envoya à Eugène Cools le 25 mai 1920 :

« Mon Cher Cools, ci-joint le bulletin d’adhésion et un mandat de 25 fr. montant de ma cotisation annuelle et de mon droit d'entrée que je ne rappelle pas avoir acquitté.

Votre lettre est venue me tirer d'embarras : je cherchais votre adresse. Voici pourquoi : un de mes compatriotes - n'oubliez pas qu'un basque a deux patries - l'abbé Donostia, de Saint-Sébastien, est venu me faire entendre de ses compositions et me demander conseil. Je craignais un peu d'entendre une musique trop monastique, il a vécu jusqu'ici dans un couvent ; j'ai eu l'agréable surprise de découvrir en lui une sensibilité musicale des plus délicates, à laquelle il ne manque que d'être cultivée. Ne pouvant moi-même travailler que par intermittences, je ne puis me charger de ce soin, et j'ai tout-de-suite pensé à vous. Voulez-vous me dire si cela vous agréait ? Il s'agirait surtout, pour le moment, de leçons par correspondance (contrepoint et fugue). Je vous prie d'adresser votre réponse ici, où je pense séjourner encore quelques temps. Bien cordialement à vous, Maurice Ravel ».

Voilà donc notre père capucin débarquant à Saint-Cloud dans la maison de Ravel, pour recevoir du maître une orientation dans ses études musicales à Paris.

« Dans cette première entrevue nous parlâmes un peu : il eut cette condescendance de vouloir perdre quelques moments pour m'exprimer ses idées au sujet de certains points de musique. Il me dit entre autres choses : "On a tort de parler contre Wagner. Certes, son esthétique n'est pas la nôtre. Mais dans le genre kolossal, si vous le voulez, Wagner a réussi à atteindre son but"… »

Dans un article en hommage à Maurice Ravel à l'annonce de sa mort en 1937, le Père Donostia rappelait également : « ... sa simplicité et sa bonhomie, se laissant conduire jusqu'au Collège de Lecaroz, où, un jour, j'eus le plaisir et l'honneur de le recevoir et de l'entendre jouer sur mon Erard sa délicieuse Sonatine. Je tiens à laisser écrit ici le succès que "Le Grillon" de ses "Histoires Naturelles" eut dans notre Collège à l'occasion d'une conférence que je dus faire aux élèves sur "L'évolution du Lied", depuis la chanson populaire de Poulenc, en passant par Bach, Schubert, Schumann, Fauré, Debussy, Satie, etc... "Le Grillon" dut être bissé par Etcheverry, le baryton, maintenant à Paris, en ce moment-là au lutrin de Saint-Jean-de-Luz. « Ma Mère l'Oye » était connue de nos élèves. Avec la « Petite Suite de Debussy », les Lieder de Schubert, quelque sonate de Mozart pour 4 mains, cette délicieuse Suite revenait avec une certaine fréquence sous nos doigts (ceux du Père Hilario et les miens). Plus d'une fois sa Berceuse pour violon et piano, composée à l'occasion de l'Hommage à Fauré, de la Revue Musicale de Prunières, plus d'une fois dis-je, elle se fit entendre des élèves du Collège ».

Ainsi donc était né le courant de symphonie entre Ravel et le Père Donostia qui avaient ce « patriotisme basque » en commun. Mais chacun à leur manière, l'incroyant Ravel, qui prenait tant de plaisir à fréquenter la sérénité monastique de cet endroit perdu dans la vallée de Baztan, et le religieux Donostia, en parcourant inlassablement fermes et villages pour empêcher de tomber dans l'oubli toutes ces chansons transmises par la tradition orale.

Et lors de la disparition de Ravel, Donostia laissera éclater toute son admiration : « La musique de Ravel est bien connue chez nous, dans le Pays Basque-Espagnol. Elle est connue et aimée. Je pourrai citer plusieurs noms de compositeurs, mes amis, pour lesquels Ravel est un phare. Nous rivalisons d'admiration et d'amour pour cette musique magnifique, pure, qui ne connaît pas le bavardage inutile, le mot creux, l'émotion facile et bourgeoise : qui aime à être jouée et goûtée dans l'intimité, dans "la fine pointe de l'âme". Ravel est pour nous un phare, un guide qui nous mène vers des régions de clarté lumineuse (ce côté basque de l'âme ancestrale du Pays, fait d'aristocratie, de légèreté, de distinction, qui apparaît dans nos chansons, nos danses, notre maintien...). Dans ce sens, Ravel est notre maître : Ravel, chef de la jeune école de musique basque ? Mais est-ce qu'à lui seul il ne la constitue pas ? Qu'est-ce que les autres ajouteraient au prestige de ce seul nom : Ravel y Deluarte, musicien basque, né à Ciboure le 7 mars 1875, mort à Paris, le 28 décembre 1937 ».   

Alexandre de La Cerda

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