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Tradition
Pour la fête de saint François de Sales, pasteur savoyard et patron des journalistes
Pour la fête de saint François de Sales, pasteur savoyard et patron des journalistes
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| François-Xavier Esponde 2570 mots

Pour la fête de saint François de Sales, pasteur savoyard et patron des journalistes

C'est à Lourdes, les 24, 25 et 26 janvier prochains, que se dérouleront cette année les 22èmes Journées Internationales Saint François de Sales qu'organise la Fédération des Médias Catholiques. « Médias et vérité » constituera le thème de ces rencontres (alternant tables rondes et ateliers de travail) auxquelles le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d'Etat du Vatican, participera le 26 janvier. L’occasion pour notre rédacteur François-Xavier Esponde d’évoquer « l'École française de spiritualité ».

Depuis l'Histoire littéraire du sentiment religieux d'Henri Bremond (1925), on parle de l'« École française de spiritualité » (à côté des écoles bénédictine, cartusienne ou franciscaine...) pour désigner un courant français issu de la Contre-Réforme catholique du XVIIe siècle et animé par de grands spirituels dans la mouvance du cardinal Pierre de Bérulle. Le P. Raymond Deville, ancien supérieur général de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, dont l'ouvrage de référence sur le sujet a été réédité récement, préfère d'ailleurs l'appellation d'École bérullienne, pour parler du fondateur de l'Oratoire de France et de ses principaux disciples - Charles Condren, Jean-Jacques Olier et Jean Eudes -, que l'on nomme volontiers « les quatre grands ».

Qu'est-ce qui la caractérise ?

On résume habituellement l'apport de cette doctrine spirituelle, adressée à tous les chrétiens, à quatre grandes intuitions. D'abord, le sens de la grandeur, de la sainteté et de l'absolu de Dieu. Pour Bérulle, l'homme, créature, est « à Dieu et pour Dieu ». Ce « théocentrisme mystique » a amené à renouer avec une dimension adorante et aimante de la vie spirituelle et à porter une attention privilégiée à la liturgie (ainsi, les oratoriens étaient surnommés les « Pères aux beaux chants »). Autre intuition : l'attachement à la contemplation du Verbe incarné, après les tentations rationnelles du XVIe siècle de dissocier l'homme de Dieu. Réaffirmant les paroles de Paul « le Christ vit en moi », ce « christocentrisme » de l'École bérullienne souligne la nécessité de partir de Jésus qui se laisse saisir (tandis que Dieu ne peut s'expérimenter). Certes, toutes les grandes spiritualités chrétiennes sont centrées sur le Christ, mais le propre de l'École française est d'inviter - selon le fameux triptyque du P. Olier - à garder « Jésus devant les yeux, Jésus dans le cœur, Jésus dans les mains ».

Ce christocentrisme s'accompagne d'une « dévotion à l'Esprit Saint », avec un attachement à la fête de la Pentecôte. Enfin, la remise en valeur d'une vision mystique de l'Église, Corps du Christ répandu et communiqué. « Toute l'Église n'est que le Christ partout, exprimé diversement par diverses personnes qui toutes représentent quelque chose de lui », disait Monsieur Olier. Cette ecclésiologie a pour corollaire un souci de la perfection sacerdotale. Pour l'historien Yves Krumenacker, enseignant à Lyon III et membre de l'Institut universitaire de France, la spiritualité de l'École française se caractérise par « une conscience aiguë de la grandeur de Dieu, de l'importance de l'Incarnation, du sens de l'Église et du nécessaire engagement apostolique ».

Quels sont ses apostolats fondateurs ?

En cohérence avec ses intuitions spirituelles, l'École française a développé de multiples apostolats, à commencer par l'établissement des grands séminaires sulpiciens et eudistes (pour améliorer la formation des prêtres) et le lancement de réformes pastorales (pour favoriser l'intériorité). Elle a eu souci aussi de l'éducation des jeunes, aussi bien dans les milieux défavorisés (avec saint Jean-Baptiste de La Salle, qui ouvrit de nombreuses écoles primaires gratuites) que dans les classes plus aisées (Bérulle et Condren fondèrent des collèges pour l'élite). Elle a eu souci également des plus démunis, dans une approche respectueuse et responsabilisante telle qu'elle était prêchée par saint Vincent de Paul dans les quartiers misérables de Paris ou par saint Jean Eudes qui s'attaqua à la prostitution.

À titre personnel, ces artisans du renouveau catholique du Grand Siècle n'hésitèrent pas à s'impliquer dans la vie politique et sociale. Ainsi, Bérulle s'opposa à Richelieu et réconcilia Louis XIII avec sa mère ; Vincent de Paul fit partie du « Conseil de Conscience » de Louis XIV.

Enfin, en cohérence avec sa dévotion à l'Esprit Saint et son d'unité entre vie et doctrine, l'École française a développé une pratique de l'accompagnement spirituel. Au XVIIe siècle, un laïc tel Gaston de Renty pouvait être le directeur spirituel de la prieure du carmel de Beaune. Même si aucun maître de l'École française n'a rédigé de traité sur « le gouvernement des âmes », un grand nombre d'eudistes, sulpiciens ou oratoriens ont exercé - et exercent toujours - ce ministère.

En quoi est-elle actuelle ?

Alors que l'adjectif « sulpicien » a pris une connotation négative (pour parler d'imagerie mièvre) et que certains traits des séminaires sulpiciens (séparation du monde, cléricalisation...) ont été abandonnés, la Compagnie de Saint-Sulpice - dont on a célébré le 4e centenaire de la naissance du fondateur, Jean-Jacques Olier - reste très appréciée pour la qualité de ses enseignants et directeurs des séminaires. « De plus en plus de sulpiciens s'intéressent aux richesses toujours actuelles de l'héritage pédagogique et spirituel que Jean-Jacques Olier a transmis à ses disciples », constate le sulpicien Philippe Molac, doyen de la faculté de théologie de Toulouse.

Sur le plan spirituel, le Renouveau charismatique en France a hérité - sans toujours le savoir - de la dévotion de Bérulle à l'Esprit Saint. Ce n'est pas un hasard si le P. Deville a longtemps donné un cours sur l'École française aux séminaristes de Paray-le-Monial, souvent issus de la communauté de L'Emmanuel. Mais ce sont surtout les intuitions christologiques du cardinal de Bérulle - « invitant à revêtir le Christ dans tous ses états, y compris dans sa vie intra-utérine », rappelle Yves Krumenacker - qui semblent les plus actuelles. La publication de ses œuvres complètes qui se poursuit au Cerf depuis 1995, ainsi que celle toute récente d'un texte inédit du P. Olier, prouve ce regain d'intérêt pour l'École française.

-L'École française de spiritualité est un concept forgé par l'abbé Henri Bremond dans les années 1920 pour définir le courant français issu de la Réforme catholique du XVIIe siècle.

Dans l'École française de spiritualité, on a coutume de placer en premier lieu la Société de l'oratoire de Jésus fondée par Pierre de Bérulle, ainsi que le théologien Charles de Condren (1588-1641), mais également saint Vincent de Paul, Jean-Jacques Olier, saint Jean Eudes, saint Louis-Marie Grignion de Montfort et parfois Bossuet. On place quelquefois au sens large aux côtés de l'École française de spiritualité certains théologiens jansénistes, comme Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, proche de Bérulle, mais certains bérulliens ont pris position contre le mouvement janséniste.

L'École française de spiritualité a pour caractéristique de mettre l'accent sur le mystère de l'Incarnation et de préciser les rapports du Logos (Verbe incarné) dans la charité agissante, ce qui a pour conséquence de placer au centre de ses préoccupations la sanctification du prêtre, en étant missionnaire des âmes.

Ce courant fut majoritaire dans la formation de la spiritualité catholique, depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle.

Contexte spirituel

Après les guerres de religion et les décrets du concile de Trente, la France connaît au XVIIe siècle, et particulièrement pendant ses soixante premières années, une période de fécondité rare « aussi riche que les plus grands moments de la chrétienté médiévale ». D'autres courants mystiques, parallèlement à celui de l'école française, se développent avec leurs accents propres, comme dans les Ordres traditionnels. Les Capucins sont ainsi en plein renouveau, les Dominicains poursuivent leur épanouissement, les publications des œuvres de saint François de Sales rendent accessibles aux laïcs des pratiques spirituelles réservées autrefois aux cloîtres, et des communautés nouvelles s'épanouissent comme la Compagnie de Jésus. Mais c'est l'école bérullienne qui retient l'attention sur son influence dans la société par son originalité.

Les grands maîtres de cette école sont quatre ecclésiastiques : Pierre de Bérulle, Charles de Condren, Jean-Jacques Olier et Jean Eudes. Ils ont comme successeurs saint Jean-Baptiste de La Salle et le Père de Montfort. D'autres comme les Oratoriens Bourgoing et Gibieuf sont aussi déterminants, mais dans une moindre mesure. Elle comprend aussi des laïcs comme Gaston de Renty, à la tête de la Compagnie du Saint-Sacrement de 1639 à 1649 ou Bernières, et des religieux comme bien sûr saint Vincent de Paul, le carme Léon de Saint-Jean (1600-1671), la Mère Agnès de Langeac, la carmélite Marguerite de Beaune ou l'humble Marie des Vallées. Des Jésuites influents comme le P. Saint-Jure, un temps confesseur du baron de Renty, et le célèbre P. Lallemant sont aussi marqués par le christocentrisme mystique de ce courant.

Contexte historique

Le pays se remet des conflits du siècle précédent, malgré la situation de la Lorraine et de la Picardie, en situation de conflits avec l'Empire; la France est la plus peuplée et l'une des contrées les plus prospères d'Europe. Une classe bourgeoise cultivée et distincte de la noblesse aspire aux questions intellectuelles. Cependant le haut-clergé se trouve souvent absorbé par des intérêts de position sociale et le clergé régulier miné par le système des commendes et des bénéfices. Quant aux prêtres des campagnes, ils sont fréquemment ignorants, alors qu'un mouvement de réforme religieuse débute déjà dans le courant du XVIe siècle. C'est donc sur le petit clergé des villes, notamment grâce à des missions de province, que l'attention des réformateurs va se porter.

Parallèlement, la plupart des ordres religieux se réforment pour redresser des situations décadentes. Chez les Bénédictins, il s'agit de la réforme de Saint-Maur, chez les Cisterciens la réforme des Feuillants, puis des Trappistes, les Carmes se réforment en Touraine et les Carmes déchaux sous l'impulsion thérésienne émergent.

Nouveaux centres spirituels

Des hauts-lieux de réflexion se créent, comme chez les Bénédictines de Montmartre, ou dans des monastères de la Visitation grâce aux écrits salésiens. L'abbaye de Saint-Germains-des-Prés rayonne intellectuellement grâce à Dom Mabillon et Claude Martin, le fils de la Mère Marie de l'Incarnation. Mais des gens du monde se réunissent aussi pour approfondir leur foi et créer des réseaux de sympathie. Le parlement de Paris est touché par le nombre de ses membres qui se tournent vers les questions religieuses et les organisations charitables, Madame Acarie réunit dans son salon (Bérulle, qui était son cousin, y sera assidu) des figures comme la marquise de Bréauté, future carmélite, Madame de Sainte-Beuve qui fonde les Ursulines et toutes sortes de personnages influents. Saint Vincent de Paul crée les Conférences du Mardi qui seront le noyau d'un clergé parisien d'élite. La Compagnie du Saint-Sacrement dont le cardinal de Richelieu se méfie et que le clan des libertins raille multiplie les œuvres de charité.

Création de l'Oratoire de Jésus

Pierre de Bérulle est au début un jeune homme réputé, auteur en 1597 d'un Bref discours de l'abnégation intérieure qui rencontre un vif succès, mais il n'est pas particulièrement centré sur la personne de Jésus. Bérulle est alors plus sous l'influence des mystiques rhéno-flamands qui lui donnent le sens de l'adoration et inspirent son théocentrisme. C'est en 1607 que l'approfondissement de la pensée de Bérulle s'effectue, sous l'effet d'un profond retournement intérieur. Prêtre depuis 1599, il comprend ainsi que se réalise comme une merveilleuse assomption de notre personne par le Christ, afin que nous opérions les merveilles du Christ5. Les dispositions intérieures du chrétien doivent être selon lui en premier lieu l'adoration, puis l'amour et enfin la communication (c'est-à-dire la communication du mystère du Fils de Dieu).

Stimulé par les réformes de certains Ordres et par les conseils de saint François de Sales qui lui fait connaître l'Oratoire de saint Philippe Néri, Bérulle se laisse convaincre par Henri de Gondi, futur cardinal de Retz, évêque de Paris. C'est ainsi que le jour de la Saint-Martin, 11 novembre 1611 (11/11/11) Bérulle forme une première communauté avec cinq prêtres diocésains qui s'installe rue Saint-Jacques, près du couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques. La bulle d'approbation suit en 1613 et les six hommes font vœu de servitude à Jésus en 1615, année où le clergé de France reçoit (c'est-à-dire accepte officiellement) les décrets du concile de Trente. Bérulle devient visiteur (équivalent de directeur spirituel) du Carmel, malgré les demandes des Carmes déchaux, et les missions, la formation des collèges, la création de séminaires sont lancées. Désormais, l'Oratoire français est un acteur majeur de la Réforme catholique. Parmi ceux qui l’ont particulièrement illustré, Jean-Baptiste Massillon, évêque de Clermont, célèbre pour ses sermons et ses oraisons funèbres, entre autres celles des princes du sang - le Prince de Conti (1709), le Dauphin (1711) -, et celle du roi Louis XIV (1715) qui commençait par ces mots :

« Dieu seul est grand, mes frères et dans ces derniers moments surtout où il préside à la mort des rois de la terre ». Il entra à l’Académie française en 1718 et figure comme évêque prédicateur avec Bossuet, Fléchier et Fénelon sur la fontaine Saint-Sulpice, devant l’église du même nom à Paris.

Spiritualité

La spiritualité de cette école se centre sur la personne même de Jésus, afin d'en acquérir une expérience intime et personnelle et de participer au renouvellement agissant de son Corps mystique, soit l'Église selon la théologie traditionnelle. Le moyen de cette expérience est de placer son ego propre en adoration devant la grandeur divine, en considérant l'état de soumission volontaire du Verbe incarné à la condition humaine. Le silence de l'oraison est favorisé devant des mystères tels que l'Incarnation et la Nativité - la dévotion à l'instar des Carmes espagnols devant l'Enfant-Jésus, modèle de charité silencieuse, est relancée - et surtout cette école préconise l'adoration devant le Saint-Sacrement, ou l'Eucharistie représentée par l'Hostie consacrée, c'est-à-dire l'expression et la réalisation de l'état de victime de l'Amour.

Le chrétien en laissant agir ainsi le Christ en lui est stimulé par la charité participante de la Trinité, cet aspect sera développé par la suite dans cette école.

On a coutume de distinguer quatre axes dévotionnels majeurs: la volonté de se faire serviteur de Jésus, la méditation des attitudes intimes de Jésus, ce qui donnera lieu par exemple à la dévotion du Sacré-Cœur, l'adoration eucharistique, l'oraison personnelle afin de faire de Jésus l'accomplissement de chacun.

Principaux écrits

·                                 Pierre de Bérulle, Discours de l'état et des grandeurs de Jésus-Christ, Paris, 1623

·                                 François Bourgoing, Vérités et excellences de Jésus-Christ

·                                 Charles de Condren, L'Idée du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ

·                                 Jean Eudes, La Vie et le royaume de Jésus dans des âmes chrétiennes, 1637; Le Contrat de l'homme avec Dieu par le saint baptême; Le Cœur admirable de la très Sainte Mère de Dieu, 1680

·                                 Jean-Baptiste de La Salle, Les Règles et Constitutions ; Méditations pour les dimanches et fêtes ; Méditation pour le temps de la retraite ; L'Explication de la méthode d'oraison ; Recueil de petits traités à l'usage des Frères

·                                 Jean-Jacques Olier, Le Catéchisme chrétien pour la vie intérieure, Paris, 1650 et 1656, Introduction à la vie et aux vertus chrétiennes, Paris 1657; La Journée chrétienne, Paris, 1655 ; Le Traité des saints ordres, Paris, 1676; Pietas Seminarii S. Sulpitii

·                                 Vincent de Paul, Correspondance ; Entretiens ; Documents

François-Xavier Esponde

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