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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena : Parasite, film sud-coréen de Bong Joon-ho – 132’
La critique de Jean-Louis Requena : Parasite, film sud-coréen de Bong Joon-ho – 132’
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| Jean-Louis Requena 797 mots

La critique de Jean-Louis Requena : Parasite, film sud-coréen de Bong Joon-ho – 132’

Séoul, Corée du sud. Ki-taek (Song Kang-ho) est un chauffeur au chômage. Il vit avec sa famille dans un sous-sol humide, malodorant : Chung-Sook (Chang Hyae-jin) sa femme, Ki-jung (Park So-dam) sa fille et Ki-woo (Choi Woo-shik), son fils. Ils vivotent d’expédients, à la débrouille. Pour le moment ils confectionnent, sans conviction, des emballages en carton pour pizzas afin de récolter quelques sous. C’est la dèche… Ils sont exclus de la société capitaliste qui triomphe dans leur pays.
En quelque sorte des marginaux, des perdants, des parias…
Un ami de Ki-woo propose à celui-ci de prendre sa place afin de donner des leçons d’anglais à Da-hyue, une jeune fille d’une famille très riche : les Park. Ki-woo, qui n’a pas les diplômes pour enseigner, les façonne avec l’aide de sa sœur Ki-jung. Il réussit sans coup férir à se faire engager par madame Park (Cho Yeo-jeong), jeune maman désœuvrée, occupant avec ses deux enfants une magnifique maison d’architecte dans un quartier huppé de Séoul.
Madame Park est enchantée du travail de Ki-woo auprès de sa fille… Son jeune fils Da-song, hyper actif, lui pose problème, elle ne sait que faire… Ki-woo, enhardi, lui propose une solution : engager une spécialiste renommée de la question… Madame Park, soulagée, accepte. Ainsi, la sœur de Ki-woo, Ki-jung, est engagée sans que la maîtresse de maison ne soupçonne le lien de parenté.
Le couple Park (le mari est un businessman peu présent, très pris par ses affaires), fortuné et avenant, font entrer sans y prêter garde, dans leur splendide demeure, les premiers membres de la famille Ki-taek… Moon-gwang (Lee Jung-eun), une gouvernante qui gère la maison et détient un secret, résiste à cette intrusion insidieuse qui la marginalise.
Le mécanisme du parasitage se met en place. Il s’emballe rapidement dans la vaste maison bourgeoise, non sans heurts et dérèglements…
Dans son septième long métrage, le cinéaste sud-coréen de « la nouvelle vague enragée » Bong Joon-ho (49 ans) nous propose un récit brillant, foisonnant, hilarant, de la lutte des classes façon Karl Marx et les Marx Brothers. Quelques entrepreneurs sud-coréens sont devenus en quelques années très riches grâce à l’explosion du marché de l’informatique et des télécommunications. D’autres, plus nombreux, sont restés « en panne », devenant ainsi les nouveaux pauvres de cette société « démocratique » non distributive : ils survivent tant bien que mal par la ruse et l’embrouille. Cela pourrait ressembler à une comédie à l’italienne (L’Argent de la vieille – 1972 – Luigi Comencini, Affreux, sales et méchants - 1976 – Ettore Scola) mais l’humour y est ici plus féroce, le mélange des genres plus audacieux. En effet : on glisse d’un film social (description du pauvre mode de vie des Ki-taek) à une comédie burlesque, puis à un film catastrophe, et enfin un film gore. Tout est ici imprévisible. Nous sommes à tout coup surpris par les têtes à queue du scénario qui a rompu littéralement les amarres. C’est la force de ce film qui, contrairement à ceux à caractère social des frères Dardenne (deux Palmes d’Or !) ou de Ken Loach (deux Palmes d’Or !) restent programmatiques : leur partis pris narratifs, idéologiques, ont pour conséquence que nous décryptons sans heurts, parfois en avance sur l’image, le scénario mécaniste, prévisible. A contrario, Bong Joon-ho nous surprend, à tout coup, par son récit « chaotique » proprement inouï auquel s’ajoute sa mise en scène « forcée », quoique convaincante et toujours inventive.
Nous sommes très éloignés des récits plats, laborieux, didactiques au service d’une idéologie manichéiste. Les pauvres ne valent pas mieux que les riches, mais ils sont, pour survivre, plus astucieux et, osons l’écrire, plus amusants.
Bong Joon-ho nous présente une vision sombre, sans concession, zébrée d’humour noir, de la société sud-coréenne adossée à son dangereux voisin : la Corée du nord (Séoul mégalopole de 25 millions d’habitants est proche de la zone démilitarisée) jamais nommée, quoique tapie dans l’obscurité de l’inconscient collectif. Lors de la remise de la Palme d’Or au dernier festival de Cannes, le réalisateur a déclaré s’être inspiré de deux cinéastes français : Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot. Le premier, probablement pour sa description implacable de la bourgeoisie, le second, pour la noirceur de ses personnages au demeurant attachants. Bong Joon-ho expose ainsi une culture cinématographique qui ne nous surprend pas au regard de la richesse scénaristique, visuelle, sonore (longue séquence « calée » sur la musique baroque de Georg Friedrich Haendel !) de son dernier opus.
A nouveau, le cinéma sud-coréen nous surprend par sa richesse et sa diversité. Depuis 1998, il a réussi à se protéger de l’invasion des « blockbusters » étrangers malgré les tentatives répétées des studios américains pour « cannibaliser » les salles obscures. Une politique de quota a été instaurée : les films sud-coréens doivent occuper au minimum 40% des écrans du pays.
Parasite est le premier film sud-coréen à recevoir la Palme d’Or au Festival de Cannes.

 

 

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