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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 696 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« L'Adieu à la nuit » - Film français d’André Téchiné – 103’

Un couple d’âge mur, Muriel (Catherine Deneuve) et Youssef (Mohamed Djouhri) déambule en devisant au milieu d’une cerisaie en fleurs. C’est le printemps dans les Pyrénées Orientales où ces deux associés possèdent un centre équestre qui jouxte l’exploitation fruitière. L’entreprise est prospère, le climat social paisible : tout le monde s’apprécie… Une éclipse solaire totale survient, que tous observent. On attend Alex (Kacey Mottet-Klein), petit-fils de Muriel, qui vient en vacances. Sa copine Lila (Oulaya Amamra), aide-soignante dans un établissement pour personnes âgées, est impatiente de le revoir.
Alex aménage seul au premier étage d’une maisonnée à l’écart du groupe animé du centre équestre. Il parait renfermé, mutique, se tenant à distance de tous, sauf de Lila… Il installe dans sa petite chambre ses quelques affaires, son ordinateur portable et commence aussitôt à « chater ». Il téléphone fébrilement avec son portable et peste contre un réseau défaillant. Il converse avec un certain Fouad (Kamel Labroudi) qui l’admoneste. Muriel est intriguée par le comportement de son petit-fils, Alex, qu’elle surprend dans un champ, à la tombée de la nuit, psalmodiant, agenouillé sur un tapis en direction de l’Est… Elle l’interroge, compréhensive : son petit-fils a traversé des turbulences affectives à la mort accidentelle de sa mère ; son père est parti vivre aux Antilles, il a refait sa vie, mais il ne refuse pas de voir son fils qui l’ignore.
En vérité, Alex a coupé les ponts avec sa famille. Il n’est que de passage chez Muriel. Encouragé par Fouad, son passeur, et Lila sa prude copine, aussi affable en apparence que dogmatique, il cherche à partir à Istanbul (Turquie) pour rejoindre la Syrie et là, combattre au côté des djihadistes de Daesh. Il ment constamment à son entourage pour préserver sa liberté d’action et tenter de s’éclipser du centre équestre sans être repéré par les autorités administratives.
Une course de vitesse s’engage entre les protagonistes de ce drame…On ne présente plus André Téchiné (76 ans), d’abord critique de cinéma (Les Cahiers du Cinéma 1964/1968), puis réalisateur d’une vingtaine de longs-métrages dont certains ont jalonné le cinéma français des années 70 à nos jours : « Pauline s’en va » (1969), « Barocco » (1976), « Le Lieu du Crime » (1986), « Les Roseaux Sauvages » (1994), « Les Témoins » (2007), etc. Son ample filmographie embrasse des sujets intimistes, sociétaux, avec des personnages en rupture, tourmentés, marginalisés, en quête de vérité. Depuis cinquante ans, ses œuvres sont des variations plus ou moins réussies autour de ces thèmes à l’instar d’une partition musicale. Ici, aidé de sa scénariste Léa Mysius, il élabore une histoire autour d’un jeune homme perdu, en rupture de ban, sans affect défini (il ne s’attache à personne, même à sa grand-mère Muriel qui le chérit), hors sexualité (Lila lui refuse tout rapport avant un mariage islamique !). C’est un jeune homme « paumé », dans un monde trop complexe pour lui : il y cherche quelque raison de vivre en s’entichant d’une idéologie religieuse simpliste, binaire, qui sépare brutalement les croyants pieux (les djihadistes) des mécréants (tous les autres).
Ce sont des faits et méfaits inhérents de nos « sociétés liquides ».
Par son savoir-faire cinématographique, sa mise en image toujours soignée, élégante, André Téchiné nous narre ce moment ou Alex se soustrait aux siens et glisse inexorablement vers ce qu’il croit être son destin. Ses propos maigres, laconiques, sont un salmigondis étrange d’obstination et de naïveté : là-bas, il combattra pour de vrais valeurs (un islam mythifié, purifié, etc.), loin des impuretés du monde déliquescent qui l’environne… Alex est prêt a tout pour réussir son voyage vers « l’Orient compliqué » !
André Téchiné, tout au long de sa carrière et quel que soit son opus, a toujours brillé par son casting et sa direction d’acteur. Dans « L’Adieu à la nuit », il dirige encore une fois Catherine Deneuve (Muriel) qui, nonobstant une filmographie impressionnante, réussit à nous faire croire à son personnage de grand-mère terrienne : elle est plus que vraisemblable en dépit de quelques faiblesses de scénario dans la seconde partie du récit. Kacey Mottet-Klein (Alex) au visage fermé, aux mots parcimonieux, est tout aussi juste.
Après quelques derniers films de moindre intérêt, André Téchiné retrouve sa veine cinématographique et c’est tant mieux !
Jean-Louis Requena

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