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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requean 732 mots

La critique de Jean-Louis Requena

En liberté ! - Film français de Pierre Salvadori – 108’

Une porte qui vibre sous les coups de boutoir. Elle explose ! Un groupe d’hommes en uniforme, casqués, caparaçonnés pénètrent dans une pièce en hurlant. C’est une descente de la brigade de répression de Nice commandée par le commissaire Jean Santi (Vincent Elbaz) une légende dans la police. Sans pitié, il tire sur tout ce qui bouge, il est sauvagement assassiné dans cet affrontement avec des voyous surarmés. Une voix douce, celle d’Yvonne (Adèle Haenel), sa femme, sa veuve, émerge de ce tohu-bohu : elle raconte à son enfant Théo (Octave Bossuet) qui tarde à s’endormir, le légendaire exploit de son père, ce héros, qui a perdu la vie lors de cet assaut, deux ans auparavant.

Yvonne est inspectrice de police dans un commissariat où elle est courtisée par un de ses collègues : Louis (Damien Bonnard). Ce dernier est inhibé par la figure épique, grandiose, du défunt commissaire auquel la municipalité a érigé une statue en bronze, intimidante, revolver au poing, sur la place Masséna de Nice. Jean Santi est un héros moderne respecté de tous. Yvonne protégée par son statut de veuve, mère d’un jeune enfant, est empêchée par ses supérieurs de participer à des opérations de police sur le terrain. Elle finit par convaincre son amoureux transi, Louis, de participer à des interpellations dans un milieu interlope de la Côte d‘Azur. Par inadvertance elle comprend que son défunt mari, Jean Santi, ce héros incorruptible, était de fait un flic pourri : un ripou de haut vol. Tout son confort matériel, maisons, voitures, objets domestiques, etc., avait pour source la rapine, l’extorsion, la corruption tout azimut.

Yvonne est effondrée, d’autant qu’elle apprend que son mari avait organisé le casse d’une bijouterie (une arnaque à l’assurance) avec la complicité des propriétaires et que le dindon de cette farce macabre est le comptable, Antoine (Pio Marmaï), totalement innocent.

Il est en prison depuis huit ans et sera libéré sous quelques jours…

Yvonne, culpabilisée de n’avoir rien décelé, décide de le filer et de l’aider discrètement dès sa sortie de prison. Au bout de huit ans sous les barreaux, le falot comptable est devenu un enragé : condamné à tort, il veut faire payer à la société toute entière ses huit années d’incarcération. Yvonne s’épuise nuit et jour à le suivre, à intervenir, en tant qu’inspectrice de police, afin de lui éviter les ennuis qu’il provoque sans cesse.

Le scénario est très subtil après une exposition des faits menée tambour battant : Yvonne la veuve éplorée, Jean Santi, le flic ripou, Louis l’inspecteur amoureux, Antoine l’innocent devenu incontrôlable. Une trame vraisemblable, mais loufoque, est développée autour de ces personnages auxquels vient se greffer Agnès (Audrey Tautou), la compagne d’Antoine. Rien n’est vrai, mais l’ensemble est vraisemblable et fonctionne comme une mécanique infernale ou les séquences s’enchainent les unes aux autre dans une logique implacable. Il y a une « touche » d’Ernst Lubitsch (1892/1947) dans cette histoire (« Le Ciel peut attendre » – 1943), dans la construction du scénario. Le neuvième long métrage de Pierre Salvadori, par ailleurs coscénariste, est par instant burlesque avec des scènes à répétition qui peu à peu se modifient, se corrompent, pour terminer grotesques. Il faut dominer un art subtil et maitrisé de la comédie de mœurs, pour d’un roman familial établi, la veuve, l’enfant, et le héros défunt, en faire un récit à rebondissements, magnifié par le travail sur les images très coloriées (chef opérateur Julien Poupard).

Pierre Salvadori (54 ans), ancien acteur, réalisateur parcimonieux (9 films en 35 ans !), son premier film est la « Cible émouvante » (1993), réalise ici une comédie enlevée, réjouissante. Nous sommes fort éloignés de cette fâcheuse veine du cinéma français qui nous accable de ses comédies « franchouillardes » aux scénarios indigents.

Il n’y a pas de mystère. Les grands maîtres de la comédie (Ernst Lubitsch, Billy Wilder, Frank Capra, Preston Sturges, etc.) nous ont toujours proposé des films aux scénarios finement ciselés. La comédie pour faire sourire, voire rire, doit être fabriquée comme un mécanisme d’horlogerie et mise en image comme telle, suivant un tempo rapide.

C’est ici, à en n’en pas douter, le cas. Nous nous réjouissons que Pierre Salvadori ait peaufiné son bel objet cinématographique avec un scénario, des acteurs (tous excellents !) et une mise scène jubilatoire.

 

 

 

« En liberté ! » de Pierre Salvadori

 

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Christian.Worth | 17/11/2018 16:38

En Liberté séduit au premier degré, mais une réflexion sur la structure du film, sur les effets miroir des situations, couplés avec la sensibilité des acteurs réjouit. C'est drôle, touchant et hautement recommandable.

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