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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena
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| Jean-Louis Requena 687 mots

La critique de Jean-Louis Requena

Nos batailles - Film Franco-Belge de Guillaume Senez – 98’

Olivier (Romain Duris) est chef d’équipe dans une grande entreprise de vente en ligne dans l’Est de la France. Son travail, management d’un groupe de manutentionnaires, est harassant. Il est sans cesse soumis aux pressions de la direction par l’intermédiaire d’une DRH, Agathe (Sarah Le Picard), afin accélérer les cadences, faire accepter les heures supplémentaires, modifier les plannings, etc. A chaque fin de journée, il rentre chez lui épuisé. Sa femme Laura (Lucie Debay) l’attend avec ses enfants Elliot (Basile Grunberger) et Rose (Lena Girard Voss). Laura est vendeuse dans un petit magasin de vêtements du centre-ville. Elle aussi semble au bout du rouleau. Les enfants sont charmants, dociles, mais prégnants : le matin, après un rapide petit déjeuner, il faut les amener à l’école, puis aller les chercher, les faire dîner, et enfin les coucher. Le couple, pourtant aimant, se lézarde peu à peu, rongé par le stress quotidien, par toutes sortes de contraintes qu’il faut assumer chaque jour. C’est le rocher de Sisyphe !

Un jour, sans avertir quiconque, Laura disparaît sans laisser un mot. Après quelques rapides recherches qui n’aboutissent pas, Olivier se retrouve seul avec ses enfants et ses problèmes professionnels dans son entreprise. Sa mère Claire (Laure Calamy) l’aide de son mieux, par intermittence, ainsi que sa sœur Betty (Laetitia Dosch) comédienne débutante et quelque peu farfelue. En plus de son travail qui lui laisse peu de répit, Olivier doit régir ses deux enfants très troublés par la disparition soudaine de leur mère.

Comment Olivier surmené, décalé par rapport à sa maisonnée, va-t-il gérer la situation somme toute banale, un couple qui se brise, mais cauchemardesque quand un des deux disparaît soudainement ?

Résumé ainsi (nous n’en dirons pas plus), le scénario ressemble peu ou prou a ceux des téléfilms régulièrement diffusés sur les écrans de télévision. C’est une banale histoire de couple qui se sépare mais ici, brutalement, avec la disparition volontaire d’un protagoniste. Pourtant il n’en est rien : le metteur en scène franco-belge Guillaume Senez nous propose un long métrage d’un rythme soutenu, effervescent, qui ne nous laisse aucune « respiration ». Nous sommes ballotés dans un malstrom d’émotions par les acteurs, adultes ou enfants, tous formidables, pendant les 98 minutes que dure la projection.

Pour ce faire, le réalisateur Guillaume Senez, coscénariste avec Raphaëlle Desplechin, use d’un système de filmage particulier : les acteurs n’ont qu’une continuité scénaristique détaillée au moment des prises de vues, mais pas de dialogue. Aucun texte ne leur est proposé, c’est à eux, avec leur propre langage, en fonction de la situation décrite, de trouver les mots… Les leurs ! Ainsi les adultes et les enfants, après quelques prises (une douzaine en moyenne !), réussissent la scène (très souvent un plan séquence à deux caméras adapté à cette méthode de tournage). Du coup, cela sonne juste et nous entrons en résonnance avec le déroulé du film qui nous livre de l’intime, des émotions et enfin de l’empathie.

C’est heureux, car nous sommes maintenus à la bonne distance dans l’émotion (apport essentiel du cinéma !) et non dans la fabrication d’une bonne conscience que procurent certains films français militants (par exemple : « La Loi du marché » – 2015 – de Stéphane Brizé). Aussi, échappons nous au discours lisse, manichéen, bien écrit, culpabilisant sur l’instant, mais que nous oublions dès que nous sortons de la salle obscure, happé par notre propre quotidienneté. Ce film « bruite » en nous par la proximité des situations, leurs banalités (mélodrame familial !), leurs vérités : il nous poursuit longtemps.

Pour son deuxième opus, Guillaume Senez (40 ans) confirme le style et le tempérament qu’il avait montré dès son premier long métrage (Keeper – 2015). Malgré les moyens modestes mis à sa disposition (caméra numérique légère, son direct, décors naturels, etc.), il nous sidère par sa maîtrise confondante. Il gère sans faille tous les invariants de l’art cinématographique : écriture du scénario, découpage, cadres, direction d’acteurs, musique, etc.

A n’en pas douter, c’est un jeune réalisateur dont il faudra suivre les prochaines œuvres que nous espérons nombreuses.

 

 

 

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