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Exclusif : Donbass, témoignage d’un étudiant bayonnais
Exclusif : Donbass, témoignage d’un étudiant bayonnais
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| Alexandre V; 2617 mots

Exclusif : Donbass, témoignage d’un étudiant bayonnais

Le conflit entre l’armée ukrainienne et les milices des régions ukrainiennes de Donetsk et Lougansk, qui ne reconnaissent pas le gouvernement ukrainien installé à la faveur de ce qui s’apparente à un véritable d'un coup d'Etat préparé par les ONG en relation avec la CIA et  appuyé par les USA, a fait plus de 10 000 morts. Quelque 600 observateurs de l'OSCE sont chargés de contrôler le respect du cessez-le-feu, que les deux parties s'accusent mutuellement de violer. Malgré la trêve dite « scolaire » qui a été proclamée dans cette région du Donbass le 25 août, des militaires ukrainiens ont tiré en 24 heures environ 100 projectiles sur le territoire de la République autoproclamée de Donetsk, selon des témoignages sur place.

Par ailleurs, comme en Tchéquie, le 25 septembre prochain est prévue l’ouverture d’un centre représentatif de la République Populaire de Donetsk (RPD) en France. Une initiative destinée à faciliter les échanges avec la France et permettre à la RPD de briser le blocus médiatique en organisant des projets bilatéraux (entre autres culturels). Ce centre représentatif n'a pas de statut officiel en France qui ne reconnaît pas les deux « républiques populaires » du Donbass, mais son enregistrement comme association loi de 1901 lui permet d'envisager « des projets de visioconférences et d'échange de cartes de vœux entre élèves de Donetsk et élèves de France, et des voyages sur place. Un étudiant bayonnais, Alexandre V., y a séjourné pendant plusieurs mois et nous publions ci-après son journal et ses notes, ainsi qu’une photo de l’église proche de l’aéroport de Donetsk bombardée par l’armée régulière ukrainienne. Quel merveilleux symbole, que cette pauvre église livrée à la folie destructrice des hommes, mais qui continue d'irradier des lueurs d'espérance dans la froide nuit d'une actualité toujours plus troublée.

ALC

La situation en DNR de fin 2015 à début 2017

Fin 2015 / Début 2016 : Résilience de la population.

Bombardements tous les deux jours en périphérie de la ville (Au Nord le quartier de l’aéroport, à l’est Makeevka).  Le centre est alors relativement épargné, les gens y habitant savent qu’il y a la guerre, mais à part une certaine privation, ils n’en subissent pas directement les affres. Produits courants disponibles en magasin. Prix exorbitants pour la viande et les produits importés.

Bâtiments de Donetsk marqués par les tirs et les bombardements. Pavés encore décelés près du bâtiment de la présidence. Drôle d’impression en ville. Beaucoup de commerces sont abandonnés, énormément d’appartements vides. Vieilles femmes et vétérans qui mendient en ville. Files d’attente « soviétiques » devant les magasins offrant l’aide humanitaire. Lorsque les convois humanitaires de l’oligarque Akhmetov arrivent en ville, ils se déplacent en convois et klaxonnent comme des sourds afin d’inciter le badaud à lire les inscriptions sur leurs bâches.

Donetsk a perdu un bon quart de sa population. Il n’y a quasiment plus de véhicules qui s’aventurent sur les voies rapides. Dans le centre-ville, le nombre de voitures et leur fréquentation est comparable à une petite ville. Beaucoup de gens sont partis en Russie ou à la campagne. Bus et Tram peu chers (respectivement 6 et 3 roubles).

Grand nombre d’hôtels ou d’immeubles de bureaux réquisitionnés pour mettre en place les différents ministères.

ONU et OSCE dans les hôtels de luxe tels que le Donbass Palace. Pas de présence dans le centre, mis à part les gros 4x4 stationnés.

L’on croise énormément de militaires. Ceux-ci sont le plus souvent vêtus d’un panachage de camouflages et d’uniformes différents, leur donnant davantage l’aspect d’une milice armée que d’un corps constitué.

Couvre-feu à 23h. Les soldats (hors police) ne peuvent plus porter des armes en ville. Tentative de retour à une certaine normalité. Durant les années 2014-2015 ils y eut quelques excès suite à la dispersion d’armes et de matériels. Débordements classiques liés aux permissions des soldats En ville, opinion négative des habitants vis-à-vis de l’armée. Néanmoins, dans quelques endroits -là où des leaders séparatistes ont été victimes d’attentats- se trouvent une photo de la victime, des fleurs, une tasse de café et un verre de vodka.

À la campagne, les gens survivent en s’entraidant et en cultivant leurs terres. Façon de vivre héritée des aléas de la période soviétique et permettant une certaine autonomie.

Les gens n’étaient pas foncièrement contre le Maïdan, mais en réaction aux décisions antirusses prisent par Kiev, ont décidé de prendre leur autonomie. Ils souhaitent tous la paix, mais sentent que tout rattachement avec l’Ukraine est impossible. Beaucoup de morts ou de blessés dans les familles. Fractures irréparables. Au début du conflit, ils étaient tous très enthousiasmés par les idées de rattachement à la Russie ou du projet de « Novorossia » mené par Strelkov. La guerre s’éternisant, le Donbass ayant été séparé en deux entités distinctes et l’idée de rattachement avec la Russie s’éloignant de jour en jour, les gens sont lassés. « Pourquoi la Crimée et pas nous ? » Sentiment d’abandon. Pour beaucoup, la DNR n’est qu’une situation transitoire. Les plus jeunes regrettent la paix. Ils ne s’intéressent plus particulièrement à la politique. Ne souhaitent pas aller dans l’armée. Par exemple, un commandant de bataillon ne comprenait pas pourquoi j’avais décidé de venir en aide aux populations du Donbass. Malgré mes explications, il continuait à me demander si c’était « politique ». Après avoir discuté avec un autre militaire, j’ai compris que son incompréhension venait du fait qu’un étranger se soit déplacé à Donetsk alors qu’une grande partie de la jeunesse locale refuse désormais de s’impliquer.

Les autorités ont bien compris cet état de fait et ont toujours refusé de mettre en place la conscription, contrairement à l’Ukraine. La solde de 15.000 roubles (deux fois le salaire moyen) réussit à convaincre bon nombre de personnes. D’un côté cela permet de maintenir le moral de la population, de l’autre ça les rend quelque peu passifs dans le déroulement du conflit. À titre d’exemple, l’année dernière, lors de la manifestation contre l’OSCE, bon nombre d’élèves ne savaient pas pourquoi ils étaient présents. Ils avaient simplement été conviés à y aller par leurs professeurs.

Les habitants du Donbass sont très surpris de voir des étrangers. Parfois il y a une défiance naturelle due au fait que généralement les gouvernements européens leur sont plutôt hostiles. Souvent, l’on nous demande simplement de communiquer à l’étranger ce que l’on a vu ici. Indépendamment de toute propagande,  la plupart des gens sont ébahis et effarés par l’indifférence de l’opinion internationale à leur égard. Ils ne comprennent pas que personne ne s’intéresse à leur sort.

Décembre 2015 - Visite Gorlovka

Visite humanitaire d’une famille vivant sur la ligne de front près de Gorlovka, dans un petit hameau. Plus d’eau. 2 heures de bus depuis Donetsk. Bruit de tirs proches et de bombardements lointain. La majorité des enfants ont été évacués, il reste surtout des personnes âgées.

La famille est composée d’une grand-mère, d’une mère –dont le mari est mort à la guerre- et de deux petites filles d’environ 10 ans. Les convois humanitaires ne s’avancent pas si près de la ligne de front. La famille habite dans une cave et n’a pas les moyens d’aller ailleurs. Intérieur meublé chichement, mais accueil extrêmement chaleureux. Thé, gâteaux et les petites filles tiennent absolument nous offrir un « spectacle » pour nous remercier. Nous sommes extrêmement touchés, mais devant la situation de la famille, nous sommes également un peu mal à l’aise.

Beaucoup de maisons éventrées. Présence de roquettes et d’obus non explosés. Champs de mines tout autour. La grand-mère nous parle des mines comme un « cadeau empoisonné pour les générations futures ».

Un homme s’occupe du ravitaillement en faisant la navette, avec sa vieille voiture, pour le village. Les habitants n’ont bien souvent que comme seul revenus, une pension de 2000 roubles (environ 30 euros) versée par la DNR.

Bataillon Angel

Pour faire face au manque d’implication des organismes humanitaires étrangers dans les zones à proximité du front, Alexeï Smirnov a créé le « bataillon Angel ». Portant l’uniforme, mais désarmés, ils vont apporter de l’aide au plus près du conflit. Ravitaillement, extraction, logistique, entre-aide… Le bataillon est très féminin et est encore animé d’un haut idéal, assez rependu au début du conflit. Puisqu’il ne s’agit pas d’un corps d’État, mais d’un groupe autonome, ceux-ci ne touchent pas de solde.

Économie

Rouble russe utilisé couramment, la Grivna (monnaie ukrainienne, ndlr.) n’est plus utilisée que pour les abonnements téléphoniques (les deux opérateurs sont ukrainiens et taxent les opérations effectuées en roubles).

Il n’existe plus de service bancaire opérationnel dans le Donbass. Il y a bien une « Banque républicaine », mais celle-ci est pour l’instant réservée aux fonctionnaires et ne permet pas de réaliser d’opérations financières avec l’étranger. Il existe une agence « Western Union » (certainement non officielle), qui permet les mouvements vers et depuis l’étranger. Outre les frais classiques relatifs à Western-Union, le taux de change du rouble est artificiellement abaissé de 10 points (Par exemple, 1€=70 roubles  en Russie alors qu’à Donetsk 1€ équivaudra à 60 roubles). Évidemment, les transferts se faisant directement en rouble ne sont pas autorisés…

Plus de service postal réel.

Eau/Gaz/Electricité/Internet fonctionnent normalement dans les grosses villes. Dans les villages, c’est assez aléatoire.

Étonnement, les magasins et restaurants continuent de fonctionner malgré le fait qu’ils soient vides les ¾ du temps. Le marché est bien entendu privilégié. Les entreprises qui ont quitté le pays sont majoritairement les multinationales (comme Mac Donald’s ou les chaînes de vêtements de luxe), les concessionnaires automobiles ou encore les magasins hi Tech. Espérons que les habitants du Donbass auront longue mémoire ! Un certain sens du recyclage : une chaîne de supérette qui a décidé de fermer ses magasins s’est vue transformée en « Magasins républicains ».

Pensions, frontière et racket

L’idée du gouvernement Ukrainien est simple : tout citoyen ukrainien qui vit sciemment en territoire séparatiste est considéré comme un étranger (ironique lorsqu’on pense qu’ils considèrent toujours le Donbass comme partie intégrante de l’Ukraine. Le territoire serait-il donc ukrainien alors que la population qui y vit ne l’est plus ?). Par l’intermédiaire de la République, la Fédération de Russie verse une aide financière permettant aux plus démunis de subvenir à leurs besoins élémentaires. 

En pratique, beaucoup de personnes se sont domiciliées en territoire ukrainien pour continuer à percevoir leurs pensions mais habitent dans les faits en DNR. Chaque mois, ils doivent donc passer les blocs-post frontaliers. Les gardes-frontière ukrainiens rackettent régulièrement les voyageurs, que ce soit en nature (nourriture / alcool / cigarettes) ou par pot de vin pouvant aller jusqu’à la moitié des sommes transportées. Il n’est pas rare que les conducteurs possédant une plaque d’immatriculation de la République de Donetsk soient victime d’humiliations.

Scolarité
Deux points :

1/ Les adolescents âgés de moins de 16 ans, au début du conflit, ne possèdent aucun papier d’identité.

2/ Les diplômes délivrés par les Universités situées en territoire séparatiste ne sont plus reconnus par les autorités ukrainiennes.   

Pour remédier partiellement à ces problèmes, plusieurs mesures furent prises. Création d’un passeport de la DNR (passeport interne), destiné dans un premier temps aux adolescents dépourvus de tout papier. Ce document permet –de manière non officielle- le franchissement de la frontière russe (Le gouvernement de la Fédération de Russie a officiellement reconnu sa validité début 2017).

Concernant la valeur des diplômes, dans la majorité des cas, des échanges sont organisés avec la Fédération de Russie pour les étudiants en fin de cycle. Formés dans une université de la DNR, ceux-ci sont envoyés en Russie pour valider leurs acquis et recevoir un diplôme.

Février 2016 - Spectacle des enfants orphelins / Syndicats

De manière presque spontanée se sont créés des syndicats, en réponse à des carences de l’Etat et à une situation de nécessité. Le terme n’est pas à appréhender sous le prisme occidental puisqu’il s’agit avant tout d’associations. Pas de lobbying, mais un système d’entre-aide bénévole. L’un des syndicats les plus reconnus est celui des victimes de la guerre. De manière pratique, ils œuvrent pour que les familles des victimes et les blessés puissent obtenir une aide et vivre décemment. Ils s’occupent également des orphelins en organisant des activités. Ai assisté à l’un de ces spectacles où les enfants dansaient ou chantaient et recevaient de petits cadeaux à l’issue. Voir de la joie sur leurs visages n’avait pas de prix.

Fin 2016 - Vers une stabilisation de la situation.

Amélioration visible de la situation économique, malgré le blocus. Augmentation de la circulation en ville, de plus en plus de « belles voitures ». Retour en ville d’une classe aisée qui s’était réfugiée soit en Ukraine, soit en Russie. Du point de vue militaire, calme apparent malgré quelques troubles et bombardements sporadiques. Sur la ligne de front, uniquement deux points « chauds ». Au nord entre Yassinovataya et Avdiivka, au sud près de Novoasovsk et Shirokino.

Signe du retour d’une certaine bourgeoisie : Les restaurants McDonald’s désaffectés sont devenus des « Don Mak » .Strictement le même goût mais plus petit et extrêmement cher pour le Donbass (environ 200 roubles soit 3% du salaire moyen). Malgré le coût prohibitif, beaucoup de clients.

Accords économiques et financiers entre oligarques. Les mines de charbon situées en DNR envoient leur production dans les usines ukrainiennes d’où il est parfois renvoyé en territoire séparatiste ou exporté via Marioupol. Certaines mines de la DNR sont toujours exploitées par des ukrainiens et les jours fériés propres aux ukrainiens y sont même appliqués. Les blocus ne concernent pas tout le monde…

Les gens sont lassés par le conflit. Je me souviens particulièrement d’une fois, où lorsque je me rendais au marché, une vieille femme m’interpella en ces termes : « Fils, lorsque tu retourneras en première ligne, par pitié, ne tire pas ! ».

Début 2017 – Aggravation de la situation consécutive à l’élection de Donald Trump.

Janvier 2017, assauts ukrainien sur les positions républicaines de Yassinovataya (qui furent par la suite reprises). Les policiers sont momentanément versés dans les forces armées afin de faire face au choc. Bombardement de zones civiles au cœur de Donetsk (Au nord, secteur de la place « Chartior » et de « Motel », à l’ouest secteur de l’immense marché « Maïak », au centre secteur du  « Marché couvert ». Quelques morts civils et de nombreux civils. Cette situation n’était plus vue depuis 2014/début 2015. Depuis un an, les bombardements étaient essentiellement cantonnés à la partie nord proche de l’aéroport et à la partie est proche de Makiïvka. Les habitants quittent les faubourgs nord et ouest pour se réfugier vers le sud.

Les ukrainiens tiennent une usine d’épuration d’eau, ce qui rend difficile l’approvisionnement de Donetsk et engendre bon nombre de pénuries.

Fin février 2017 – Enfin de réelles initiatives politiques !

Reconnaissance officielle par la Fédération de Russie des passeports de la DNR.

Face au blocus dont fait l’objet la DNR, il a été procédé à la nationalisation des biens appartenant à l’oligarque Akhmetov (usines/bâtiments/stade du « Chartior »). Rinat Akhmetov fut l’un des principaux oligarques de Donetsk. Président du club de football « Chartior Donetsk » et propriétaire de nombreuses usines, il s’était réfugié à Kiev au début du conflit. Possédant des intérêts autant dans la zone ukrainienne que Républicaine, il s’était arrangé pour n’être que faiblement impacté par les blocus. A Donetsk son image était plutôt positive du fait de l’aide humanitaire qu’il distribuait en grande pompe. Cependant, personne n’était dupe et de nombreuses rumeurs circulaient sur son ascension (il aurait par exemple fait assassiner son frère ou encore conclu des arrangements afin que ses biens ne soient pas bombardés par les ukrainiens). Globalement, c’était le symbole de la mainmise des oligarques et de la relative  vassalisation à Kiev de l’économie de la DNR. Symboliquement, cet acte est particulièrement significatif.

Alexandre V.

 

 

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