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Histoire
Deux jours en train, de Paris à Moscou
Deux jours en train, de Paris à Moscou
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| François de Laitre 4421 mots

Deux jours en train, de Paris à Moscou

François de Laitre, jeune globe-trotter aquitain dont nous avons déjà publié la relation de ses séjours au Kirghizstan, entre autres à l’occasion d’une chasse aux loups mémorable en compagnie de son ami Bertrand de Bézenac ou d’un séjour en Iran, nous relate à présent son récent voyage Paris-Moscou en train, dans la « tradition » des nombreux villégiateurs russes qui se rendaient (avant la révolution de 1917) à Biarritz dont ils constituaient, selon les statistiques de l’époque, presque le quart de la population sur six mois de l’année !

Paris, mercredi

Il est 18h, heure de Paris. Je suis Gare de l'Est en train d'attendre Bertrand qui malheureusement ne sera pas du voyage mais a souhaité m'accompagner au départ du train à destination de Moscou. Ce train n°23 a été remis en service dans les années 2010 par la compagnie russe RJD, qui assure aussi la ligne Moscou/Nice. Autrefois, le départ de la ligne Paris/Moscou se faisait Gare du Nord via la Belgique pour rejoindre l'Allemagne. Depuis sa remise en service, le train part de la Gare de l'Est et rejoint l'Allemagne en passant par Strasbourg.

Dans le hall de la Gare de l'Est, le train est bien indiqué sur les panneaux d'affichage avec la destination Moscou-Gare de Biélorussie. Cependant, aucune information sur la voie n'est fournie, seule la plate-forme est mentionnée. Malgré le manque d'information, je repère facilement le train grâce à son personnel de bord typé russe avec leurs pantalons larges et leurs casquettes démesurées. Me voilà rassuré ! Sur le train, en plus du logo de la compagnie russe, nous pouvons voir écrit Moscou-Paris, en alphabet latin et cyrillique.

Bertrand me rejoint en début de quai puis nous avançons vers les premières voitures et prenons le temps de nous prendre en photo devant le train. Ma voiture est dans les dernières. Dans les trains russes, une hôtesse est affectée à chaque voiture et assure le service à bord pendant le trajet. Devant la porte de la voiture, je présente mon billet et mon passeport. Elle contrôle ma réservation avec la liste des passagers et vérifie la présence du visa de transit pour la Biélorussie sans se préoccuper du visa russe. Je monte dans le train avec Bertrand qui a eu le droit de m'accompagner pour visiter. Les voitures ne sont pas très différentes de ce que nous avons connues en Europe de l’Est. A priori, je suis le premier voyageur car tous les compartiments sont vides. Je dépose mes bagages dans mon espace et prends le temps d'immortaliser ce moment avec Bertrand une nouvelle fois. Nous examinons le plan de route de la ligne qui est affiché dans le couloir ; je suis impressionné par le nombre d'arrêts que nous allons effectuer. Nous redescendons discuter quelques minutes jusqu’à ce que l'hôtesse me demande de remonter en voiture ; le départ est imminent. Je quitte Bertrand en sentant chez lui une certaine nostalgie. A bord, je rencontre Tanya, une passagère russe qui va partager le compartiment avec moi. Elle dit au revoir à son mari pendant que Bertrand me souhaite un bon voyage. Très vite, Tanya et moi, nous mettons à discuter en russe, seule langue que nous ayons en commun, bien qu'elle ait des bases d'anglais. Elle m'explique que son mari et elle ont décidé de faire le trajet du retour séparément et que ce dernier va la rejoindre à Moscou en avion. En fait, c’est surtout que Tanya a une grande peur de l’avion et préfère prendre le train ! Elle est venue avec son mari passer une semaine à Paris et a été enchantée par son séjour. Encore une russe amoureuse de Paris ! Elle vit dans une ville à 600 km au sud de Moscou. Jeune femme mariée, au foyer, elle élève ses deux enfants de 11 et 7 ans. J'ai même eu droit à quelques photos de famille. Les russes sont toujours aussi chaleureux et accueillants. Par tradition, nous commençons notre voyage en commandant du thé, vert pour Tanya, noir pour moi. Notre hôtesse nous les apporte dans les verres traditionnels (socle en étain travaillé dans lequel est glissé un verre). Tanya sort un paquet de gâteau pour accompagner le thé, des petits sablés Saint-Michel, et bien sûr me propose de les partager. Je ne peux refuser ! Puis nous continuons à discuter avec mon russe qui reste très limité et laborieux, mais au moins nous arrivons à tenir un semblant de conversation.

Le train est quasiment vide au départ de Paris mais Tanya m'informe que beaucoup de voyageurs vont monter à Berlin. Ce qui sera le cas... Ce train est très moderne, confortable et très propre. L'hôtesse nous remet des cartes magnétiques pour ouvrir la porte de notre compartiment ; de nombreuses prises de courant sont disponibles ; on peut régler la température et la luminosité … Tout est écrit en russe, en allemand et en français. Bien que je pense être le seul à parler le Français à bord de ce train.

Une heure après le départ, l'hôtesse ouvre la porte et indique à un passager une couchette libre de notre compartiment. Il s'agit d'un passager Malien qui ne parle pas le russe, baragouine le français (j'ai beaucoup de mal à le comprendre) et parle ce que je suppose être un dialecte malien. J’essaie d’engager la conversation. Il m'explique avec beaucoup de difficultés qu'il va rejoindre des amis à Berlin qui peuvent lui fournir un travail et que la situation au Mali est très compliquée en ce moment. J'hésite à lui demander comment il est arrivé jusqu'à Paris et s'il est en situation régulière, mais cela ne me regarde pas et de toute façon je ne suis pas sûr que j'aurais compris sa réponse, ni lui ma question. Il monte dans sa couchette, se vaporise avec un déodorant et embaume tout le compartiment… Bref, un passager de premier choix qui ne pense pas à couper la sonnerie de son téléphone pendant la nuit. Tanya et moi voyons qu'il a froid, montons la température du compartiment et lui indiquons qu'il a une couverture à sa disposition sous sa couchette. Il nous remercie et se met à dormir.

Vers 22h, le calme envahi peu à peu la voiture et nous rappelle qu’il est temps d’aller se coucher. Je pars me brosser les dents et mettre mon pyjama. Je sors quelques minutes du compartiment pour laisser Tanya se changer dans l’intimité. Je monte dans ma couchette et m'installe tant bien que mal en espérant passer une bonne nuit. Puis nous éteignons la lumière et nous souhaitons une bonne nuit. Allongé dans ma couchette, je pense à mon début de voyage. Je viens à peine de quitter Paris et ai déjà l'impression d'être en Russie.

Arrivée à Strasbourg, vers 1h du matin, un quatrième passager vient compléter le compartiment. Dans le noir, je vois une silhouette mince et grande revêtue d’un costume et d’un chapeau. Je le vois essayer de se changer sans faire trop de bruit et s'allonger sur sa couchette. Il s'agit d'un homme, russe j'imagine, mais je ne sais encore rien de lui. Au petit matin, nous ferons les présentations.

La nuit est agitée : entre les variations de température, la sonnerie de téléphone incessante du Malien et les arrêts, je n'ai pas réussi à m'endormir avant 2 heures du matin. Chose intéressante, à la frontière allemande, nous abandonnons notre locomotive de la SNCF pour une de la Deutsche Bahn. J'imagine que la même opération se répètera à chaque frontière. En pleine nuit, en dépit de mon sommeil de plomb, un bruissement continu finit par me réveiller. Je m’interroge sur l’origine de cette nuisance. Il s'agit de notre passager malien qui a un petit creux. Je l'entends pendant 15 longues minutes déballer des victuailles et mâcher des aliments avec très peu de délicatesse. Il s’aperçoit que je suis réveillé, ne s'excuse même pas et en profite pour me demander où il peut trouver de l'eau. Je lui conseille de contacter l'hôtesse de notre voiture en espérant qu'il trouve ce dont il a besoin et me laisse dormir.

En Allemagne puis en Pologne, jeudi

A 7h45, notre hôtesse est venue frapper à la porte pour réveiller notre passager malien qui doit descendre à Berlin, ce qui nous a également tirés de notre sommeil. Je ne suis pas sûr que notre compagnon malien ait compris, mais il se lève, rassemble ses maigres affaires et descend sur le quai. Je l’aperçois, l’air complètement perdu, passer un coup de téléphone puis remonter à la hâte dans le train. Visiblement quelque-chose ne va pas. L'hôtesse refrappe à la porte, m'explique ne rien comprendre à ce qu'il raconte et me demande de traduire. Mais traduire quoi ! Me voilà, à peine réveillé, désigné traducteur malien/russe. On aura tout vu ! J’essaie de comprendre le problème en parlant difficilement avec notre passager malien mais ne comprends rien. Désespéré, il finit par me passer une personne au téléphone que je ne comprends pas davantage. Je finis par déduire que l’interlocuteur souhaite savoir à quelle gare il se trouve pour venir le chercher. En pyjama, du haut de ma couchette, je me penche pour regarder par la fenêtre le nom de la gare et lui indique que nous sommes actuellement à Berlin. Je pense qu'il ne me comprend pas. L’hôtesse et le chef de quai finissent par lui demander de descendre ici ; ce qu'il fait. J'espère qu'il finira par rejoindre ses connaissances... Le train repart lentement et je le vois errer sur le quai comme un enfant abandonné. Ce sera la fin de nos aventures avec notre passager malien.

Chose étrange, nous avons fait trois arrêts dans des gares différentes de Berlin. Au fur et à mesure, les compartiments se remplissent et nous quittons Berlin en étant quasiment complet. Les passagers de mon compartiment finissent par se lever et partons chacun tour à tour faire une toilette de chat dans la salle de bain de notre voiture. Le wagon est équipé d'une douche, mais je n'ai pas réussi à la faire fonctionner. Je finis donc par me laver au gant pour me rafraîchir. Nous commandons le thé et Tanya sort des gâteaux en guise de petit-déjeuner.

Au cours de la collation, je regarde le paysage défiler. Pour le moment, je confirme : l’Allemagne c'est plat et les vaches sont bien là ! Chose amusante, en consultant les brochures présentes sur la table, je découvre qu’il est possible d'acheter des pantoufles, des verres, des cornes à chaussures … avec le logo de la compagnie.

Petit à petit, une vie se crée à bord du train et chacun prend ses habitudes : les passagers regardent le paysage, font connaissance avec leurs voisins, descendent fumer à chaque arrêt en gare, commandent du thé … un va et vient incessant. Nous avons déjà 2h de retard sur le planning de route et faisons plusieurs arrêts imprévus dans de petites gares de campagne désertes. Je n'avais pas prévu de visiter l'Allemagne !

Vers midi, Tanya et moi partons déjeuner. En remontant le train jusqu’à la voiture restaurant, à part deux jeunes couples de Français, tous les passagers que nous avons croisés semblent russes ou parlent russe. Rien de surprenant sur cette ligne de train où le personnel ne parle que le russe !

La restauration à bord est très bien organisée. De Paris à Varsovie, le restaurant est polonais et nous devons nous acquitter en euro. Cette voiture restaurant va nous quitter à Varsovie et une nouvelle sera rattachée à la gare de Brest-Litovsk dans laquelle il faudra désormais payer en rouble.

Je m'assoie avec Tanya dans la voiture restaurant et commandons à déjeuner (la carte est traduite en plusieurs langues y compris le français). En attendant notre serveur, Tanya continue à me raconter sa vie et ses aventures. J'apprends qu'elle vient d'une ville située au sud de Moscou qui s'appelle Lipetsk. Je lui demande si c'est un village de campagne et elle me répond avec étonnement que c'est une ville de plus d'un million d'habitants. J'ai oublié que nous sommes à l'échelle de la Russie ! Puis elle me parle de ses enfants, me montre des dessins de son petit dernier et des photos de son aîné qui est un champion de billard russe et d'échecs. Elle m'explique qu'elle est contente de voyager avec moi car son mari ne cesse de parler. Je n'ose pas lui dire mais depuis que nous avons quitté paris, elle n'a pas arrêté de parler ; je n'ai pas pu lire une seule page du livre que j'ai apporté. Le serveur vient prendre nos commandes. Tanya prend une salade et je commande une viande avec des légumes. Je n'ai pas su expliquer que je la voulais saignante ; j'espère ne pas me retrouver avec une semelle de botte dans l'assiette. Rapidement, les plats arrivent et nous continuons notre conversation en déjeunant et en regardant le paysage. Vu du train les campagnes allemandes et polonaises ne sont pas très différentes : des boulots, des pins parsemés sur des plaines infinies sans relief. Cependant, je constate un changement : les vaches ne sont plus dans des enclos mais attachées un peu partout dans les prairies. Malheureusement, les éoliennes ont envahi les champs et gâchent le panorama. Nous finissons de déjeuner et demandons l'addition. Je lui propose de l'inviter mais elle refuse. Par courtoisie, j'aurais dû insister.

Nous repartons vers notre voiture et j’en profite pour essayer de comprendre la numérotation des wagons. Nous passons du 257 au 260 puis au 234 … incompréhensible. Chose amusante, dans ce train les passagers portent tous les jours une sorte de pyjama-jogging ; je pense être le seul en chemise et pantalon. De retour à notre compartiment, je monte sur ma couchette pour faire une petite sieste et récupérer du sommeil de la nuit dernière mouvementée par les aventures du malien. Notre autre compagnon de compartiment, monté à Strasbourg, se met aussi à se reposer. La journée passe et la traversée de la Pologne nous semble interminable. Nos arrêts imprévus continuent.

La sieste terminée, une conversation débute entre nous trois. Notre nouvel ami s'appelle Mamed, un Tchétchène. Il m'explique que son prénom signifie « celui qui prie en levant les bras au ciel », puis partons dans d'interminables conversations politiques sur la Tchétchénie et la Russie. Il travaille à son compte et vient de monter une application mobile qui s'appelle Bazarco, mais à part comprendre que le rôle de cette application est de mettre des personnes en relation, son utilité me semble un peu floue. Il parle si vite que j'ai beaucoup de mal à le comprendre et surtout je commence à avoir mal à la tête de parler russe... Il m'explique aimer la France et les français car nous sommes un peuple intelligent. Je demande ou j'ose lui demander pourquoi ? Il m'informe que la France a beaucoup aidé la Tchétchénie et a accueilli un grand nombre de ses compatriotes en les traitant bien. Notre conversation continue et Mamed me raconte qu’il rentre d'une réunion importante avec son associé à Genève. Je lui demande pourquoi il y est allé et reparti en train, Moscou ou Grozny étant à des milliers de kilomètres. Quelle question ai-je posée ? Il considère le train plus agréable et plus sécurisé. En fait, il m'avoue avoir peur de l'avion, tout comme Tanya ! Par ailleurs, il m'apprend qu'il ne faut jamais prendre l'avion pour Irkoutsk, soi-disant que c'est un aéroport extrêmement dangereux. Voyager en train est effectivement très agréable mais encore faut-il avoir le temps ! Notre conversation tourne rapidement à la plaisanterie quand il m’annone que ce serait bien que je devienne Président de la République française et qu'il serait ravi d'être mon Ministre des finances. Quant à Tanya, le poste de Ministre de l’éduction lui conviendrait parfaitement. A partir de cet instant, la conversation est partie un peu dans tous les sens … Je suis toujours étonné par l’imagination des russes.

Par la suite, je le lui raconte les difficultés rencontrées pour obtenir un visa russe. Chose étonnante, pour les russes, j’ai l’impression que c'est une simple formalité pour obtenir un visa pour l'UE. Il a obtenu le sien en 24h et je lui demande si c'est normal. Il me répond qu'il suffit de connaître les bonnes personnes. Effectivement ! Plus tard dans notre conversation, j'apprends que c'est un ami du Président Tchétchène Ramzan Kadyrov et qu'il connait également le président Poutine. Evidemment, cela peut faciliter les démarches ! Il me propose ses services « consulaires » pour la prochaine fois et étend également son offre à tous les pays d’Asie centrale. Son service s’applique même à mon voyage actuel et il me communique son numéro de téléphone +7 XXX 001 01 01. Ce numéro paraît surnaturel et n'aurait pas de problème à le retenir. Qui a des numéros aussi simples ?

Nous finissons enfin de traverser la Pologne, attendons notre tour pour passer la frontière et quitter l’espace Schengen. Et oui, même les trains font la queue !

Cette attente devenant interminable, Mamed me propose de prendre une bière dans la voiture restaurant, mais je lui explique que celle-ci nous a malheureusement quittés à Varsovie. Nous restons donc dans notre compartiment à grignoter. J'aurais dû y penser, mais suis monté à bord les mains vides. Tous les passagers ont apporté de la nourriture et la partagent avec les autres. Ils sont tous adorables et me proposent leurs victuailles.

Vers 2 heures du matin (heure de Paris), nous arrivons à Terespol, la dernière ville polonaise avant la Biélorussie. Tout le monde regagne sa place avec la plus grande discipline et l'hôtesse passe dans chaque compartiment pour demander de préparer les passeports. Les douanes polonaises montent les premières, suivies du service de l'immigration composé de deux femmes grandes en tailleur au regard sévère. Mamed a un passeport qui attire l'attention et se fait harceler de questions. Il répond tranquillement aux questions en russe et finit même par faire rire les officiers de l'immigration. Puis vient mon tour, l’officier d’immigration lit difficilement mes prénoms « Francis ... ». Je me permets de la reprendre en lui indiquant « François », puis elle se met à lire mes quatre autres prénoms. Elle me regarde d'un air étrange et me demande naturellement pourquoi ai-je autant de prénoms ? Mamed se met à rire et entre dans la conversation. Je finis par lui dire que c'est une tradition française. Que dire d’autre ? Sans poser plus de questions, elle me rend mon passeport et part contrôler les autres passagers. Une fois les contrôles terminés, nous sommes officiellement sortis de l’espace Schengen, le train reprend sa route pour entrer en gare de Brest-Central en Biélorussie. Les contrôles reprennent pour entrer dans l’espace Biélorussie-Russie. Les douanes montent encore les premières. Une jeune femme élancée en tailleur, assez stricte, plutôt jolie, nous demande d'où nous venons et si nous avons des choses à déclarer. Mamed part encore sur le ton de la plaisanterie et me présente comme un grand dignitaire français en lui citant tous mes prénoms. La blague ne prend pas trop … Elle me demande en Anglais de détailler le contenu de ma valise et je lui réponds en russe que j'ai des vêtements et des livres. J'aurais dû répondre en Anglais ou en Français … Interloquée, elle me répond en me demandant si je parle russe. Je lui réponds que je parle et comprends un peu le russe. Nos échanges oraux s'arrêteront là puis elle me demande d'ouvrir mes bagages et fouille dans mes affaires. Heureusement que je n'ai pas mis mes caleçons sur le dessus ! Finalement à part ma boite de Doliprane, rien ne l'intéresse. Tanya a également dû ouvrir sa valise et montrer la bouteille de champagne qu'elle rapporte de France. Seul Mamed ne devra pas ouvrir son sac.

Vient maintenant une autre jeune femme qui me demande mon passeport en me posant les questions habituelles : D'où venez-vous ? Où allez-vous ? Quel est l'objet de votre visite ? Je commence par répondre en russe à ses questions quand Mamed et Tanya m’interrompent pour répondre à ma place. Espérons qu'ils ne disent pas trop de bêtises... Décidément j'ai hérité d'une mère et d'un père. Satisfaite par les réponses, elle me rend mon passeport et me donne le petit papier d'immigration à remplir. Je fais mes devoirs et lui rapporte le document. Evidemment j'ai fait des erreurs et il faut recommencer. Après correction, elle tamponne mon document d'immigration et mon visa de transit. Me voilà donc officiellement en République du Bélarus.

Une fois les contrôles terminés, il nous faut encore faire la queue pour changer les essieux du train et passer sur l'écartement d’Europe de l’Est. Il est déjà minuit et nous ne sommes pas en avance sur l'horaire. L'hôtesse nous présente notre quatrième passager pour la nuit, Valentina, une Russe de 50 ans mariée avec un Français qui se rend à Moscou avec sa fille. Je commence à discuter avec elle et m’aperçois que son français est médiocre, mais étant donné mon niveau de russe, je n'ai rien à dire. Elle est surprise de me voir ici et m'explique qu'elle n'a jamais réussi à convaincre son mari de prendre le train pour Moscou, car il est trop français pour ça !

La fatigue me gagne mais je souhaite rester éveiller pour voir le changement des roues du train. Notre tour arrive enfin et nos voitures sont convoyées dans un immense hangar. Les passagers restent à bord, ont interdiction de descendre et continuent à mener leurs activités sans que rien ne se passe. Les voitures ne sont pas décrochées, toute la rame est montée en même temps par des vérins hydrauliques de 50 tonnes chacun. On ne se rend compte de rien, et entendons juste le bruit des bogies qui roulent sous le train. Je n'attends pas la fin de l'opération et finis par m'endormir ainsi que les autres personnes du compartiment.

En Biélorussie puis en Russie, vendredi

Enfin une bonne nuit ! Je me suis réveillé vers 8h (heure de Paris ou 10h heure de Moscou), avec le sentiment d'avoir passé une longue nuit paisible. Heureusement, j'avais demandé à notre hôtesse une couverture supplémentaire, car les nuits sont de plus en plus fraiches. Notre compartiment et notre voiture se réveillent doucement et chacun passe l'un après l'autre faire un brin de toilette. La routine du matin s'installe peu à peu : nous commandons du thé et sortons des gâteaux.

Quelques minutes plus tard, Mamed me propose d'aller à la voiture restaurant pour prendre un verre, ce que je ne peux refuser. En passant, nous récupérons son associé et son épouse puis descendons sur le quai pour regagner plus facilement le wagon-bar. Nous nous installons sur une table de quatre personnes et découvrons le nouveau décor de la voiture. Le restaurant est vide mais le service est assuré. La carte est en russe et les prix sont maintenant affichés en roubles. Nous sommes toujours en Biélorussie et n'avons pas encore traversé la frontière avec la Russie. Nous commandons des pistaches, des bières, de la kacha (une bouillie à base de sarrasin mondé, de maïs, de riz, de blé, d'avoine, d'orge ou de millet cuits à l'eau), des œufs … un vrai petit déjeuner que nous allons partager. Puis vient la conversation. Ce matin, j’avoue, que parler russe est difficile. Les amis de Mamed sont aussi tchétchènes et me montrent des photos de leurs enfants (dont un qui va bientôt se marier), des vidéos de paysages et de danses traditionnelles tchétchènes (dont j'ai malheureusement oublié les noms). Deux heures se sont écoulées et nous sommes maintenant à une heure de Moscou. Je n'ai même pas le temps de voir l'addition que mes compagnons s'en sont déjà occupés. Me voilà encore gêné et les remercie chaleureusement. L’associé de Mamed et son épouse vivent dans le centre de Moscou dans un hôtel particulier magnifique situé perspective Lénine. Monsieur m'informe qu'il travaille dans les affaires et que Madame rentre de 15 jours de repos à Monaco. Je n'ose plus poser de question et n'en saurai pas davantage mais suis toujours surpris de rencontrer et partager des moments avec des personnes aisées en 2cl. Mamed m'invite chez lui en Tchétchénie à Grozny pour visiter le pays et pêcher le poisson, qui est l'une de ses passions. Que puis-je dire à part le remercier ? Il me propose même que l'on se retrouve à Moscou pour dîner ensemble avec une bonne bouteille de bordeaux et me garantit une excellente soirée en compagnie de l'ex-miss Ukraine ainsi que d'autres charmantes demoiselles. Un programme très prometteur !

Il est temps de retourner à notre voiture et faire nos valises. La plupart des passagers ont quitté leurs pyjamas et revêtus une tenue de ville. Mamed enfile un costume bleu ciel, une chemise à fleurs et met son chapeau. Tanya a endossé un tailleur, s'est faite belle et porte un joli foulard. Elle m'apprend que son mari l'attend sur le quai de la gare depuis 4 heures pour la récupérer et rentrer chez eux en voiture. Le train arrive enfin vers 15h (heure de Moscou) à la Gare de Bielorusskaya à Moscou et nous descendons du train. Naturellement, je porte la valise de Tanya sur le quai et la remets à son mari. Je m'aperçois qu'elle s'est occupée de payer les thés que nous avions commandés. Décidément, je n'aurais pas dépensé un seul kopek pendant ce trajet, sauf pour mon déjeuner d'hier !

Nous remontons le quai ensemble et tombons sur le couple d'amis de Mamed. Leurs enfants, très chics et bien habillés, sont venus les accueillir. Nous sortons de la gare ensemble et Tanya me propose de déjeuner avec elle et son mari. Je décline aimablement son invitation en lui expliquant que je dois y aller. Je lui souhaite un bon retour avec son mari, car ils ont encore 6 heures de route pour rentrer chez eux. Je salue également Mamed qui me rappelle de l'appeler sans faute pour dîner et monte avec ses amis dans une Mercedes flambant neuve. Je les quitte aussi pour m’engouffrer dans le métro et regagner mon hôtel.

A propos, nous ne nous sommes pas arrêtés à la frontière entre la Biélorussie et la Russie ; j'ai l'impression que personne n’a contrôlé mon visa russe. Pour ceux qui veulent apprendre le russe, le train est un excellent endroit !

Ce voyage en train restera inoubliable et a été bien au-delà de mes espérances et imaginations. J'ai l'impression d'avoir passé un moment avec des amis. Malgré le long retard que nous avons accumulé en Allemagne pour arriver à une durée de 42h de train au lieu de 36h, je n’ai pas vu le temps passer. En revanche, après deux jours intensifs de langue russe, je commence à avoir mal à la tête. Mais ne faut-il pas en passer par là ?

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ADLMDDM | 08/02/2019 14:59

Très intéressante relation de voyage. Par contre, elle me convainc de ne surtout pas voyager dans sa 2ème classe... J'ai pour ma part refusé les compartiments mixtes en France de peur du "qu'en dira-t-on " et que mon épouse se méprenne ! Il y a d'ailleurs en France des wagons pour femmes seules... Par ailleurs, ces deux passagers au moins qui ont peur de l'avion, moi qui suis pilote PP-IFR expérimenté même si je suis devenu non pratiquant depuis quelques années, me sidèrent. Pour ma part, c'est plutôt le train qui me fait peur : un TGV roulant sur deux rails à 250 km/h de moyenne m'inquiète énormément au possible déraillement ! Je ne m'y suis jamais senti rassuré. L'avion, lui, vole en s'appuyant beaucoup plus sérieusement et sereinement sur les lois naturelles, notamment de l'aérodynamique, et j'ai bien plus confiance dans mes deux demi-ailes que dans les deux rails !... De plus, je peux reprendre en mains n'importe quel avion, mais pas le TGV... Le train super omnibus russe emprunté ici est évidemment moins stressant question vitesse.

Denis.F | 07/06/2019 13:48

Bonjour, Merci pour ce récit ! Je serais intéressé de savoir à quelle date vous avez fait ce voyage ? Merci d'avance pour votre réponse, Denis P.S : Citoyen français, je vais régulièrement en Russie avec ma famille qui est russe et française (en fait à part moi tout le monde a les deux nationalités :-) ). Il y a deux ans en août 2017 nous avons pris ce train Paris-Moscou. Nous voudrions à nouveau prendre ce train mais en voulant prendre les billets auprès d'une agence on m'a averti que la traversée de la frontière terrestre était interdite aux étrangers depuis mai 2017... Du coup je m'inquiète...

Rom | 17/06/2020 23:19

Réponse très tardive: il ne l'a pas marqué en ces termes mais il est entré illégalement en Russie car il n'a pas eu de contrôle de douane. Il n'y a pas grand risque tant qu'il ne se fait pas contrôler en Russie ou à son retour...

Philippe Brun | 18/02/2021 12:40

Bonjour nous avons effectué ce voyage en 2002 et 2004 mais il semblerait que ce soit impossible aujourd'hui de traverser la Bielorussie...Qu'en est il exactement? Merci si vous pouvez nous donner une réponse Bcdt Nathalie et Philippe B.

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