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Histoire
Des « 5 juillet » en Algérie
Des « 5 juillet » en Algérie
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| Alexandre de La Cerda 1420 mots

Des « 5 juillet » en Algérie

Alors que l’Algérie fêtait ce mercredi 5 juillet les 55 ans de son indépendance après plus de cent ans de présence française, son Président Abdelaziz Bouteflika a tenu à s’adresser à la France dans son discours solennel, réclamant des excuses pour toutes les « souffrances du peuple » algérien et pour « gagner en sérénité une reconnaissance des vérités de l'Histoire ».
Des « vérités de l’histoire » qui ne sont pas « à sens unique », et qu’il nous a semblé intéressant de rappeler, particulièrement en matière de « souffrances populaires »…
Commençons par le commencement : le 5 juillet 1830 correspond à la prise d'Alger par l'armée française : le Dey Hussein abdique sachant qu'il garde sa liberté et ses richesses personnelles. Le général Bourmont, à la tête des l37 000 soldats français, entre dans la ville. La Méditerranée est enfin sécurisée car cette conquête permet de mettre fin à la piraterie des barbaresques qui sévit depuis le XVIe siècle (voir dans nos lettres précédentes les vies de saint Vincent de Paul et de Cervantès).
Le 5 juillet 1962, le général De Gaulle, chef de l’Etat, reconnaît officiellement l'indépendance de l'Algérie à la suite des référendums des 8 avril et du 1er juillet. Ce même jour se dérouleront les massacres d'Oran, véritable chasse aux Européens visant les malheureux qui n'avaient pas encore eu le temps de quitter les lieux. Il semble que le massacre était prémédité car les tueries commencèrent à la même heure aux quatre coins de la ville qui était vaste. Cela suppose la mobilisation d'une immense logistique ; tout montre que l'action a été programmée, organisée et coordonnée à un très haut niveau, même si la participation à la curée d'une foule hystérique a pu faire croire à des événements « spontanés ». 
Le docteur Robert Pierné, bien connu à Biarritz où il a exercé après ces événements, et à Baïgorri où il a sauvé et restauré avec son épouse le château d’Etxauz, était alors un médecin-biologiste âgé de 33 ans. Le souvenir de la tragédie est encore vif chez ce neveu de Gabriel Pierné (compositeur de la « Fantaisie basque pour violon et orchestre » et de la musique de scène « Ramuntcho »)  : « J’ai été braqué par un jeune de 11 ans avec un pistolet colt 43 - je lui montre le caducée sur mon pare-brise - dix secondes d’incertitude - il me laisse passer » !
Dans cette grande ville de près de 400.000 habitants en grande majorité européens, le FLN avait décidé de monter une grosse opération d’intimidation. « Dès le matin, des convois remplis de jeunes musulmans armés de fusil et de couteaux convergèrent de la périphérie vers le centre : un car remplis de tueurs précédait un camion-benne où étaient entassés les cadavres et un autre chargé de vieux pneus afin de les brûler. Près de 1.800 victimes furent ainsi massacrées : ils tiraient à bout portant dans les rues, entraient dans les maisons. Le mur de la poste dégoulinant de sang mérita son nom de « mur des fusillés ». Mon infirmier suisse reçut une balle en pleine tête mais survécut par miracle. Mon ami médecin ORL put reconnaître après coup quelques charniers sur la demande des autorités françaises, les militaires français ayant été maintenus cantonnés dans leurs casernes sur ordre du général Katz ». Surnommé « le boucher d’Oran », cet officier appliqua à la lettre les instructions de Paris en laissant s’accomplir le génocide (une plainte à son encontre déposée par 47 familles de victimes du massacre d'Oran pour « complicité de crime contre l'humanité » sera déclarée recevable mais couverte par la prescription). « Beaucoup de suppliciés terminaient leur agonie dans les chaudières des bains maures », se rappelle encore Robert Pierné, resté sur place quelques mois après ces tragiques événements car le jeune médecin ne voulait pas abandonner la pharmacie de son père : « nous nous sommes un jours retrouvés une dizaine face à 2.000 arabes dont le chef nous annonça qu’ils allaient égorger de nombreux… (quelques instants de silence)… moutons ! T’as eu peur, ajouta-t-il en riant ».
Le martyre des suppliciés
Jeune militaire appelé originaire du Sud-Ouest, André Aussignac fut enlevé le 21 juillet 1962, soit quatre mois après la signature des accords d'Evian. Enfermé dans une briqueterie dont les fours étaient remplis d'Européens, puis emmené au fond d’une mine où un ministre algérien en visite lui donna un coup de pied au visage parce qu'il ne s'était pas levé assez vite, il arriva à s'évader malgré les tortures infligées : ongles des orteils arrachés et jambes brisées.
Divers témoignage font état de nombreuses femmes enlevées pour la prostitution, certaines livrées aux maisons closes, d'autres « attribuées » à des officiers de l'armée algérienne ou vendues à des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc, le Congo ex-belge et même l'Amérique du Sud.
Parmi les suppliciés, un sort effroyable fut réservé aux harkis auxquels leurs coreligionnaires du FLN coupèrent les mains et crevèrent les yeux dans le meilleur des cas, ou les attachèrent à des poteaux plantés sur les places publiques pour les écorcher lentement à coups de canifs, les jetèrent vivants dans des chaudrons d’eau bouillante. Partout on fusilla après avoir torturé, on mura dans des bâtisses de pierres, on enterra vivant, on brûla sur des bûchers, on flagella, on égorgea, on roua de coups des victimes enfermées dans des sacs, membres liés. Dans le Constantinois, des femmes tuèrent même des captifs à coup de dents !
Après ces massacres, les bateaux furent pris d’assaut. Claudine Peyrou se souvenait « d’avoir attendu trois jours sur les quais avant de pouvoir embarquer pour une traversée qui en dura cinq, en raison du refus des ports de Marseille, Sète et Port-Vendres d’accueillir les fugitifs. Finalement, la Marine nationale les hébergera à Toulon » ! La présidente des Rapatriés de la Côte basque qui réunit quelques 600 familles était alors une lycéenne de 16 ans, fille d’un ingénieur des Eaux et Forêts.
Deux témoignages
Akmar Zaid : « Je devais avoir 9 ans (je suis né en 1953). Assis sur le trottoir, j'ai vu défiler des voitures à vive allure avec des européens qui hurlaient dedans. Je comprenais qu'on les emmenait vers le petit lac pour les égorger. Mais l'image qui est gravée en moi et restera gravée jusqu'à la fin de mes jours est l'image de la Peugeot 403 qui s'est arrêtée devant l'épicerie de M. Romboni. Trois hommes en sont sortis et se sont engouffrés dans cette épicerie. Ils ont traîné M. Romboni dehors. L'un des trois hommes brandissait une oreille sanglante ; il Je devais avoir 9 ans (je suis né en 1953). Assis sur le trottoir, j'ai vu défiler des voitures à vive allure avec des européens qui hurlaient dedans. Je comprenais qu'on les emmenait vers le petit lac pour les égorger. Mais l'image qui est gravée en moi et restera gravée jusqu'à la fin de mes jours est l'image de la Peugeot 403 qui s'est arrêtée devant l'épicerie de M. Romboni. Trois venait de l'arracher avec une lame sous les « you you » des femmes.
Je ne pourrai JAMAIS oublier cette scène et chaque fois que j'y pense, je ne peux retenir mes larmes. Pourtant je n'avais que 9 ans ; j’en ai 63 aujourd'hui. J'ai oublié de vous dire que je ne suis pas pied-noir : je suis marocain, natif d'Oran quartier Victor Hugo.
Nous sommes rentrés au Maroc directement après l'indépendance (1963) pour habiter Oujda ».
Jacques Aygalenq, matelot : « En 1964 j'ai passé plus de 3 mois embarqué sur un patrouilleur côtier à Mers el Kébir, base navale d'Oran. Dans un esprit de réconciliation on nous proposait sous forme de volontariat des petits voyages « découvertes » dans l'intérieur des terres. C'est ainsi que j'ai connu par exemple le merveilleux site de Tipasa cher á Albert Camus... Or un jour, lors d'un dernier arrêt dans un élevage d'huîtres sur la côte, lors du commentaire du conférencier, deux femmes jeunes européennes, ont discrètement demandé à un marin du groupe si on pouvait les embarquer avec nous. Elles étaient accompagnées d'un groupe de 3 ou 4 hommes algériens qui,  nous l'avons espéré n'ont pas remarqué leur manège.
Le lieutenant nous accompagnant nous a vite fait remonter dans le car, les engagés de longue date qui faisaient partie de notre groupe commençant á s'agiter…
Nous étions encore à une heure de route de la base, en tenue de sortie, sans armes, nous ne pouvions rien faire, rien !
Je reverrai toujours le regard de l'une d'elles qui nous suivait des yeux alors que nous repartions avec nos beaux uniformes BBR…
Cette histoire que j'écris, je ne peux la dire sans m'arrêter dans un sanglot 
» !
Alexandre de La Cerda

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